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La lutte contre la contrefaçon

Vanessa Bouchara

Mise à jour le 16 janvier 2021

La loi du 11 mars 2014 sur la lutte contre la contrefaçon et la nouvelle proposition de loi de modernisation du 25 novembre 2021.

La contrefaçon est une atteinte portée à un droit de propriété intellectuelle détenu par un tiers, que ce soit un individu ou une société, et dont les conséquences peuvent être particulièrement lourdes pour les acteurs économiques affectés : cela peut engendrer notamment la perte de parts de marché et ternir l’image de la société en raison de la mauvaise qualité des produits vendus.

Il s’agit d’un fléau particulièrement préoccupant pour les acteurs économiques de nos jours, qui doivent rester vigilants vis-à-vis de cette machine bien huilée qu’est l’industrie de la contrefaçon, qui ne cesse de croître et trouve constamment de nouveaux moyens d’échapper à la détection et à la sanction.

La loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon a pour objectif de compléter et renforcer les dispositions de la loi du 29 octobre 2007 (Loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon), qui elle-même transposait la directive du 29 avril 2004 (Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle), en offrant des moyens de lutte plus efficaces aux titulaires de droits, tant en matière de droit d’auteur, de marques, de brevets, de certificats d’obtention végétale ou encore d’indications géographiques.

Les dispositions de la loi de 2014 tendent toutes, d’une façon ou d’une autre, vers une meilleure évaluation du préjudice subi par le titulaire lésé, notamment à travers l’amélioration du droit à l’information et le renforcement des moyens d’action des douanes, entre autres.

Le bond du e-commerce durant la pandémie a pu mettre en lumière les problématiques liées à la contrefaçon sur Internet, qui ne cesse de proliférer. La législation française en matière de contrefaçon a pourtant du mal à s’adapter au développement du commerce en ligne.

Le volume de la contrefaçon étant déjà difficile à évaluer, l’acte étant par nature clandestin, la contrefaçon en ligne est d’autant plus laborieuse dès lors que le réseau de distribution n’est pas forcément identifiable, encore moins l’instigateur. Il est également impossible de pratiquer une saisie-contrefaçon si le contrefacteur ne peut pas être localisé.  A tout le moins, un constat d’achat en ligne pourra être effectué.

Selon une étude conjointe de l’EUIPO (Office de l’Union européenne pour la Propriété Intellectuelle) et l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) (« Trends in Trade in Counterfeit and Pirated Goods »), la France était en 2019 l’une des principales victimes de la contrefaçon, arrivant en seconde position derrière les Etats-Unis.

De ces constatations, une proposition de loi visant à moderniser la lutte contre la contrefaçon a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 25 novembre 2021 (Proposition de loi n° 4555 visant à moderniser la lutte contre la contrefaçon), laquelle n’est à ce jour pas promulguée. Composée dans sa version initiale de 23 articles, ils sont se retrouvent au nombre de 7 dans la version adoptée.

L’idée centrale de la loi de 2014 : les règles de fixation des dommages et intérêts

L’objectif de la loi est d’améliorer les dédommagements des titulaires de droits de propriété intellectuelle.

Sous l’empire de la loi de 2007, afin d’apprécier l’étendue du dommage et ainsi fixer le montant des dommages et intérêts dus en réparation, que ce soit pour des cas de contrefaçon de marques, d’indications géographiques, d’obtentions végétales, de brevets d’invention, de dessins et modèles ou de droit d’auteur, la juridiction devait prendre en considération : « les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont :

  • le manque à gagner, subies par la partie lésée,
  • les bénéfices réalisés par le contrefacteur et,
  • le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l’atteinte (Anciens articles L.521-7, L..615-7, L.623-28, L.716-14 et L.722-6 du Code de la propriété intellectuelle). »

La loi de 2014 est venue préciser que, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction doit prendre en compte ces trois facteurs de préjudice « distinctivement », soit indépendamment l’un de l’autre.

Cette loi a également élargi le critère des conséquences économiques négatives de l’atteinte au droit en y incluant expressément, outre le manque à gagner, la perte subie par la partie lésée.

Enfin, est également précisé que, lorsqu’à la demande de la partie lésée, une somme forfaitaire est allouée à titre de dommages et intérêts, celle-ci « n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. » (Article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle).

Les outils permettant une évaluation précise des préjudices

A cette fin, le législateur offre aux justiciables des outils concrets d’action permettant d’évaluer de manière précise le préjudice subi :

1. Une simplification de la procédure de droit à l’information

Le droit à l’information est l’une des principales dispositions de la loi de 2007 qui permet à un titulaire de droits de propriété intellectuelle, qui auraient fait l’objet d’actes de contrefaçon, d’obtenir par ordonnance d’un juge la communication de renseignements sur l’origine, les réseaux de distribution et l’ampleur des ventes des produits contrefaisants, et donc d’évaluer précisément le préjudice subi.

Pour autant, ce droit restait encore flou, et la loi de 2014 a permis d’en clarifier le contenu.

Cette loi confirme la compétence du juge de la mise en état et du juge des référés pour ordonner de telles mesures, ce qui avait été largement discuté en doctrine et en jurisprudence, cette dernière s’y étant éventuellement déclarée favorable (Cass. com., 13 déc. 2011, n° 10-28.088 ; TGI Paris, réf., 3 mai 2013, n° 13/52886).

En effet, ont été ajoutés aux articles applicables à la procédure de saisie-contrefaçon (articles L.331-1-2, L.521-5, L.615-5-2, L.623-27-2, L.716-7-1 et L.722-5 du Code de la propriété intellectuelle). Les termes « au fond ou en référé » pour affirmer la compétence du juge des référés, et « argués » ou « prétendument » concernant le caractère contrefaisant, ce qui implique la compétence du juge de la mise en état, lorsque le caractère contrefaisant d’un produit n’est pas encore établi.

D’autre part, la loi de 2014 a également supprimé la liste des documents ou informations qui pouvaient faire l’objet de cette mesure afin d’éviter que celle-ci ne soit interprétée comme exhaustive et donc limitative.

Ainsi, la procédure doit pouvoir concerner toute information ou document jugé pertinent, sans limite particulière, dès lors que cela est en lien avec les actes contrefaisants.

Une juridiction saisie d’une action en contrefaçon peut « ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur », la production documents ou informations détenus par :

  • le défendeur ;
  • toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ;
  • toute personne qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou ;
  • toute personne qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services ;

sous réserve de la confidentialité de certaines informations ou documents (articles L.521-5, L.615-5-2, L.623-27-2, L.716-4-8, L.722-5).

L’article 1er de la proposition de loi de 2021 prévoit de renforcer le champ d’intervention de l’INPI en lui attribuant une mission de collecte de données utiles à la quantification de la contrefaçon.

Ce même article prévoit également que l’INPI aura la charge de collaborer régulièrement avec les organisations professionnelles et le Comité national anti-contrefaçon dans le cadre d’une « analyse objective des conséquences économiques, nationales et sectorielles, des pratiques de contrefaçon ».

2. Un renforcement des moyens d’action des douanes

Au-delà du droit à l’information, la loi du 11 mars 2014 élargit les compétences des autorités douanières, qui peuvent intervenir en matière de droits portant sur les indications géographiques ou d’appellations d’origines, et pour saisir des marchandises litigieuses en transit.

Les autorités douanières couvrent ainsi un plus large panel de produits, à savoir l’importation, l’exportation, mais également le transbordement.

Afin de renforcer l’action des douanes, l’article 4ter de la proposition de loi de 2021 prévoit l’élaboration d’un rapport (Rapport gouvernemental qui devrait être remis au parlement dans les 6 mois suivant la promulgation de la loi du 25 novembre 2021) sur l’opportunité du recours à la technologie de la blockchain (technologie de stockage et de transmission d’informations centralisés via un registre de bases de données partagées simultanément avec ses utilisateurs, dont les règles spécifiques d’utilisation sont fixées par un protocole informatique sécurisé) par les services de douanes.

Cette technologie est aujourd’hui utilisée par certaines marques de luxe pour assurer l’authenticité des produits à leurs clients.

Dans le cadre de la lutte contre la contrefaçon, cette technologie permettrait de renforcer la traçabilité des produits en leur attribuant un identifiant unique.  Le rapport préciserait notamment les conditions de mise en place de cette chaîne de blocs de certification.

3. La clarification de la procédure de saisie-contrefaçon

L’huissier de justice est seul compétent pour effectuer des saisies-contrefaçon, au cours desquelles il procède « soit à la description détaillée » des produits argués de contrefaçon, parfois accompagné d’un prélèvement d’échantillons, « soit à la saisie réelle des objets prétendus contrefaisants ainsi que tout document s’y rapportant » (Article L. 521-4 du Code de la Propriété Intellectuelle).

Le juge peut par ailleurs ordonner toute mesure d’instruction nécessaire même en l’absence d’une saisie-contrefaçon préalable. Cependant, si on interprète cette nouveauté à la lumière de l’article 6 de la directive 2004/48/CE qu’elle transpose, ainsi qu’à l’article 146 du Code de procédure civile auquel elle renvoie, le titulaire devra tout de même, a minima, apporter des « éléments de preuve raisonnablement accessibles et suffisants pour étayer ses allégations » (Directive 2004/48/CE sur le Respect des droits de propriété intellectuelle).

La proposition de loi de 2021 prévoit, à titre expérimental, une habilitation de la police municipale à constater l’achat et la vente de cigarettes à la sauvette (Ces infractions ne peuvent actuellement être constatées et verbalisées que par la police nationale (art. R. 664-3 et 446-1 du Code Pénal). Cette extension serait pour les rapporteurs un « nouveau levier d’action » à l’encontre des contrefaçons dans l’espace public.

En matière de contrefaçon de marques, cette proposition de loi vise également à faciliter l’engagement des actions des titulaires de droits. Calqué sur le dispositif prévu pour les droits d’auteur (Article L.331-2 du Code de la Propriété Intellectuelle), l’article 3 de la proposition donne compétence aux agents assermentés par le ministre chargé de la propriété intellectuelle pour constater les infractions au droit des marques.

Pour permettre la verbalisation de certaines infractions sans encombrer les tribunaux, la proposition de loi de 2021 prévoit également en son article 2 une amende forfaitaire de 200 euros (minorée de 150 euros et majorée de 450 euros) pour délit de détention de marchandises contrefaisantes sans motif légitime.

4. Point sur la prescription

La loi de 2014 a également harmonisé le délai de prescription applicable aux actions civiles en contrefaçon portant sur les droits de propriété industrielle avec celui du droit commun de l’article 2224 du Code civil, à savoir le délai de cinq ans qui court « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer. » (Articles L.615-8 et L.623-29 du Code de la propriété intellectuelle et Article 2224 du Code civil).

Il s’agit d’un délai d’action plus long et donc plus avantageux pour la victime d’un acte de contrefaçon, notamment en matière de brevets, d’obtention végétale ou de marques, qui étaient auparavant fixé à trois ans seulement. Le délai en matière d’une action en contrefaçon de droit d’auteur était déjà de cinq ans, celui-ci étant déjà soumis à la prescription de droit commun.

Dorénavant, toutes les actions en contrefaçon civiles se prescrivent au bout de 5 ans. Cependant, les actions en contrefaçon pénales font l’objet d’une prescription distincte, initialement fixée à trois ans, puis portée à six ans par la loi du 27 février 2017 (Loi n°2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale), et ce pour tous les droits de propriété intellectuelle.

La loi du 11 mars 2014 offre donc des prérogatives plus concrètes au titulaire de droits afin d’évaluer leur préjudice avec précision et plus de facilités, même si certaines ont fait l’objet de critiques par la doctrine quant à leur pertinence. Par ailleurs, certains articles ont également été légèrement modifiés par la suite, notamment par la loi PACTE du 22 mai 2019 (Loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises), sans que leur portée soit modifiée.

5. Une mobilisation des intermédiaires pour lutter contre la contrefaçon en ligne

La proposition de loi de modernisation vise à renforcer l’efficience du blocage des réseaux sociaux et des sites de e-commerce contrefaisants. Elle prévoit à ce titre deux nouvelles mesures à savoir :

  • Le blocage d’un site contrefaisant pour lequel le propriétaire n’est pas identifié

A ce jour, le Code de la Propriété Intellectuelle ne permet pas au juge d’ordonner des mesures de blocages si l’auteur de la contrefaçon n’est pas identifié.

Cette difficulté a pu être contournée par une ordonnance du Tribunal judiciaire en 2020 (TJ Paris, Ordonnance de référé, 8 janvier 2020, n° 19/58624) dans une affaire de contrefaçons de montres opposant la célèbre maison de luxe Cartier aux sociétés Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR.

Il résultait de l’ancienne version de l’article 6.I.8 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), qu’un titulaire de marque pouvait agir en référé ou sur requête pour obtenir des intermédiaires techniques le blocage des sites contrefaisants, sous réserve de démontrer l’impossibilité d’agir efficacement et rapidement contre les hébergeurs, ou auprès des auteurs ou éditeurs des sites pour faire cesser le dommage.

Or, cet article a été récemment modifié par la loi n°2021-1382 du 25 octobre 2021 (Loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique) de sorte que les mesures de blocages ne peuvent désormais être sollicitées qu’au cours d’une procédure accélérée au fond.

La loi de modernisation prévoit la possibilité d’obtenir la suppression des noms de domaine ou comptes de réseaux sociaux portant atteinte à une marque ou toute autre mesure propre à en empêcher l’accès.

Cette action pourrait être intentée à l’encontre des propriétaires du site ou bien des intermédiaires techniques (sont qualifiés comme tels les opérateurs de télécommunication, les fournisseurs d’accès et d’hébergement au sens des articles 6 I.-1 et -2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).

Un Décret d’application précisera les modalités de mise en œuvre de cette mesure.

  • Le déférencement du contrefacteur, la suppression ou suspension de ses noms de domaine et comptes sociaux

A l’instar de la procédure prévue en droit de la consommation (nouvel article L. 521-3-1 du Code de la consommation qui permet de sanctionner des pratiques trompeuses pour le consommateur (voir pour première application l’affaire du déférencement du site wish.com – TA Paris, Ordonnance du 17 décembre 2021, n° 2125366/2), le projet de loi prévoit la possibilité pour les agents de douanes, suivant constat de la vente sur une plateforme en ligne de produits contrefaisants, d’en informer l’intermédiaire et recueillir ses informations. A défaut de réponse satisfaisante, les agents de douanes pourront mentionner cet intermédiaire sur une liste publique. Si les faits de contrefaçons par les services de l’intermédiaire persistent, les agents de douanes pourront demander son déférencement, la suppression ou encore la suspension des noms de domaines et comptes de réseaux sociaux associés à cet intermédiaire.

 

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