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Est-ce que le titulaire d’une marque déchue…

Vanessa Bouchara

Mise à jour le 7 avril 2021

Est-ce que le titulaire d’une marque déchue peut agir en contrefaçon ?

Par un arrêt du 26 septembre 2018 (Cass. Com. 26 sept. 2018 n°16-28281), la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) :

Est-ce que le titulaire d’une marque, qui ne l’a jamais exploitée et qui a été déchu de ses droits pour défaut d’usage sérieux à l’expiration du délai de 5 ans, est recevable à agir en contrefaçon ?

Le contexte de la question préjudicielle

La marque française Saint Germain a été déposée par Monsieur Laurent Boub le 5 décembre 2005 pour désigner entre autres des boissons alcooliques.

Le 8 juin 2012, le déposant a assigné des fabricants et distributeurs d’une liqueur de sureau St-Germain devant le TGI de Paris pour contrefaçon de marque.

Dans une autre procédure, le TGI de Nanterre prononçait la déchéance de la marque Saint Germain à compter du 13 mai 2011 pour les boissons alcooliques.

Cette décision a été confirmée par la CA de Versailles en date du 11 février 2014.

Dans ces conditions, le TGI de Paris a rejeté la demande en contrefaçon en retenant qu’aucune exploitation de la maque n’était intervenue depuis son dépôt. La Cour d’appel de Paris a confirmé ce jugement en date du 13 septembre 2016 (CA Paris, 13 septembre 2016, n°15/04749).

Monsieur Laurent Boub a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt et se posait la question de savoir si le titulaire d’une marque ne l’ayant pas exploité et ayant été déchu de ses droits pour défaut d’usage sérieux pouvait agir en contrefaçon à l’encontre d’un tiers afin d’obtenir réparation de faits antérieurs à la date d’effet de la déchéance.

Une question préjudicielle a alors été posée à la CJUE étant donné que la loi française doit être interprétée à la lumière de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques (aujourd’hui abrogée et remplacée par la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015).

La déchéance de la marque

La fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine des produits et services désignés par la marque, en lui permettant de les distinguer sans confusion possible, de ceux qui ont une autre provenance (CJUE, 18 juin 2002 aff. C-299/99 Philips, point 30, CJUE 12 nov. 2002 aff. C-206/01 Arsenal Football Club C-206/01 point 48).

Une marque non exploitée ne peut remplir cette fonction aussi naturelle et évidente.

Si l’action en déchéance aboutit, elle produit son effet à compter de l’expiration du délai de cinq ans suivant le dernier acte d’exploitation ou depuis le dépôt si la marque n’a jamais été exploitée (Cass. com. 31 janv. 2006, n° 04-12.945 PIBD 2006. 828. III. 287).

Tant que la déchéance n’est pas prononcée, la marque reste en vigueur et peut donc théoriquement servir de base à une action en contrefaçon (Cass. com. 7 mars 1978, n° 76-13192, Ann. propr. ind. 1979. 327).

La nature de cette période de 5 ans à compter de la publication de l’enregistrement de la marque

La jurisprudence française a déjà admis la possibilité pour des titulaires de marques d’agir en contrefaçon pour les actes antérieurs à la prise d’effet de la déchéance (CA Paris, 5 juin 1998, RG n° 94/28160, PIBD 1998. III. 465 ; CA Paris, 16 juin 2000, RG n° 98/21031, 2000. 708. III. 552).

Dans un important arrêt Länsförsäkringar, la CJUE a déclaré qu’au cours de la période de cinq ans qui suit l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, son titulaire peut, en cas de risque de confusion, interdire aux tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire à sa marque pour tous les produits et les services identiques ou similaires à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée, sans devoir démontrer un usage sérieux de ladite marque pour ces produits ou ces services (CJUE, 21 déc. 2016, aff. C-654/15).

Pour la CJUE, il s’agit d’un délai de grâce conféré au titulaire pour entamer un usage sérieux de sa marque (CJUE, 21 déc. 2016, aff. C-654/15, précitée, point 26).

Ainsi, pour les juges de l’Union européenne, la non-exploitation de la marque constitue une situation anormale, la règle générale étant l’usage sérieux même au cours des 5 premières années. L’intérêt du délai de grâce est alors de permettre au titulaire de rattraper sa passivité suivant le dépôt de sa marque. Cette hypothèse est comparable à celle du renouvellement de marque : là encore, un certain retard est toléré pour permettre au titulaire de corriger son omission, mais cela ne change pas le fait qu’en principe le renouvellement d’une marque doit être effectué avant son expiration.

La question posée

La différence fondamentale entre l’arrêt Länsförsäkringar cité et la question préjudicielle récemment posée par la Cour de cassation est de savoir si le même délai de grâce s’applique au cas où le titulaire déchu de ses droits veut faire constater des actes de contrefaçons antérieurs au prononcé de cette déchéance et obtenir une réparation.

La CJUE devra donc apprécier si nonobstant la validité avérée des marques pendant cette période de grâce, leur titulaire perd toute faculté d’engager une action en contrefaçon si la marque n’a finalement jamais été utilisée et n’a donc pas rempli sa fonction d’identification d’origine.

Il convient de préciser que la question préjudicielle a été renvoyée à la CJUE sous l’empire de l’ancienne directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008.

Il ne faut par contre pas oublier que la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 abroge la directive 2008/95/CE avec effet au 15 janvier 2019.

En effet, le « Paquet Marques » confère une place plus importante à l’exploitation de la marque. La nouvelle directive énonce notamment dans son préambule qu’il est essentiel d’imposer que les marques enregistrées soient effectivement utilisées pour les produits ou les services pour lesquels elles ont été enregistrées et si, à défaut, elles ne sont pas utilisées à cet effet dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle s’achève la procédure d’enregistrement, elles pourront faire l’objet d’une action en déchéance (Directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015, considérant 31).

Les États membres sont également tenus de mettre en place une procédure administrative rapide et efficace pour déclarer la déchéance ou la nullité d’une marque.

La CJUE s’est finalement prononcée le 26 mars 2020 (CJUE, 26 mars 2020, aff. C-622/18, point 45) et a estimé qu’un titulaire d’une marque déchue pour défaut d’usage sérieux conserve le droit de réclamer une indemnité en raison d’actes de contrefaçon intervenus antérieurement à la date d’effet de la déchéance de sa marque.

La CJUE a également précisé que les dommages et intérêts octroyés au titulaire de la marque déchue devront être « adaptés au préjudice que le titulaire de la marque a réellement subi » (CJUE, 26 mars 2020, aff. C-622/18, point 46).

De ce fait, l’absence d’usage sérieux d’une marque n’obstrue pas la possibilité pour le titulaire de la marque déchue d’obtenir une indemnisation. Toutefois, cette circonstance doit être prise en compte pour déterminer l’existence de l’étendue du préjudice ainsi que le montant des dommages et intérêts que le titulaire de la marque peut réclamer.

A la suite de la réponse apportée par la CJUE, la Cour de cassation a cassé dans son intégralité la décision rendue par la Cour d’appel, qui avait jugé que le titulaire d’une marque déchue ne pouvait pas agir en contrefaçon dès lors qu’il ne démontrait pas la preuve d’un usage de la marque antérieure (Cass.Com. 4 novembre 2020 n°16-28.281).

Ainsi, le titulaire d’une marque déchue, pour défaut d’exploitation à l’expiration du délai de 5 ans, peut agir en contrefaçon et demander des dommages et intérêts en raison de l’usage, par un tiers, d’un signe similaire pour des produits ou services identiques ou similaires. L’absence d’exploitation de la marque n’a donc aucune incidence sur le droit d’agir du titulaire mais cela aura un impact lors de la détermination du montant de l’indemnité.

 

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