Le droit français des marques a subi des modifications majeures depuis l’entrée en vigueur, le 11 décembre 2019, de la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « Loi Pacte », complétée notamment de l’Ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 et du Décret n°2019-1316 du 9 décembre 2019, ainsi que de deux décisions du Directeur Général de l’INPI du 11 décembre 2019 respectivement n°2019-157 et n°2019-158.
Cette loi s’inscrit dans le cadre de la mise en conformité du droit français avec le « Paquet Marques » de l’Union Européenne découlant de la directive n°2015/2436 adoptée le 16 décembre 2015.
Les nouvelles dispositions introduites par la Loi Pacte ont notamment pour effet d’ajouter des nouvelles catégories de marques pouvant faire l’objet de protection, mais également de nouveaux droits antérieurs pouvant faire obstacle à la validité d’une marque.
De plus, la Loi Pacte a pour effet de modifier profondément la procédure d’opposition et d’attribuer de nouvelles compétences exclusives à l’INPI en matière de nullité et de déchéance des marques françaises.
Certaines dispositions sont applicables à partir du 11 décembre 2019 et d’autres à partir du 1er avril 2020.
LES MARQUES
Les nouvelles dispositions introduites aux articles L711-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle sont applicables aux marques déposées à partir du 11 décembre 2019.
Les nouvelles catégories de marques
L’un des apports majeurs de la réforme est l’abandon de l’exigence de représentation graphique.
L’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose désormais que :
« La marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale de ceux d'autres personnes physiques ou morales.
Ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire. »
Ainsi, cette nouvelle rédaction a pour effet d’élargir considérablement la liste des catégories de signes pouvant faire l’objet d’une protection à titre de marque, qui comprend désormais :
En outre, la nouvelle rédaction des Sections 1 et 2 du Chapitre 5, Livre VII du Code de la propriété intellectuelle introduit un changement de vocabulaire et de statut des marques collectives :
Les nouveaux motifs absolus et relatifs de refus des marques
La réforme du droit des marques a eu pour effet d’introduire les nouveaux articles L711-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle qui recensent les motifs absolus et relatifs de refus et de nullité des marques.
Nouveaux motifs absolus de refus et de nullité de la marque
L’article L711-2 du Code de la propriété intellectuelle liste l’ensemble des motifs absolus de refus et/ou nullité de la marque. Outre les cas qui étaient déjà prévus sous le régime antérieur, cet article prévoit expressément que ne peuvent être valablement enregistrées, ou le cas échéant doivent être annulées, les marques :
Les articles L711-3 et L711-4 du Code de la propriété intellectuelle listent l’ensemble des motifs relatifs de refus et/ou nullité de la marque, à savoir les droits antérieurs opposables à une marque. Cette liste fait expressément référence notamment aux droits suivants :
LES OPPOSITIONS
L’un des autres apports majeurs de la réforme du droit des marques est la création d’une nouvelle procédure d’opposition (articles L712-4 et suivants du Code de la propriété intellectuelle) applicable à l’encontre des demandes de marques déposées à partir du 11 décembre 2019.
Les nouveaux fondements de l'opposition
La procédure d’opposition à l’encontre d’une demande de marque française, ou désignation française d’un enregistrement international, peut désormais être fondée sur un ou plusieurs droits antérieurs sous réserve que tous les droits invoqués appartiennent au même titulaire.
En outre, la nouvelle rédaction de l’article L712-4 du Code de propriété intellectuelle élargit la liste de droits antérieurs pouvant être invoqués dans le cadre d’une opposition, qui comprend notamment :
La nouvelle procédure d'opposition
La nouvelle procédure d’opposition auprès de l’INPI s’apparente à celle déjà en vigueur auprès de l’EUIPO (Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle), dans la mesure où elle comprend désormais une première étape purement formelle, puis une phase contradictoire, comme suit :
1- L’opposant peut désormais procéder dans un premier temps, dans le délai de deux mois à compter de la publication de la demande de marque contestée, au dépôt d’une déclaration d’opposition formelle.
Cette déclaration devra identifier le(s) droit(s) antérieur(s) invoqué(s) et la demande de marque contestée et être accompagnée du paiement des redevances d’opposition, à savoir :Aux termes du nouvel article L712-5-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’opposition fondée sur une marque antérieure enregistrée depuis plus de 5 ans est rejetée lorsque l’opposant, sur requête du titulaire de la demande de marque contestée, n’est pas en mesure de prouver :
ACTION EN NULLITE OU DECHEANCE
L’ordonnance a mis en place une procédure administrative en nullité ou en déchéance des marques enregistrées, qui sera effective à partir du 1er avril 2020.
Ainsi, l’INPI et les Tribunaux se partagent désormais la compétence en matière d’actions en nullité et d’actions en déchéance.
Actions en nullité
En ce qui concerne les actions en nullité, l’article L716-2 du Code de la propriété intellectuelle organise une compétence exclusive au profit de l’INPI en matière d’actions en nullité de marque formées à titre principal.
Dans ce cadre, l’ensemble des titulaires de droits antérieurs tels que listés aux articles L.711-3 et L.716-2 du Code de la propriété intellectuelle, pourront agir directement devant l’INPI. Ces personnes pourront notamment être :
L’INPI connaîtra ainsi des actions en nullité formées tant sur des motifs de nullité absolue (énoncés aux articles L.711-2, L.715-4 et 7.715-9 du Code de la propriété intellectuelle) que sur des motifs de nullité relative issue de l’existence desdits droits antérieurs.
En parallèle, les Tribunaux conserveront une compétence exclusive pour connaître des actions en nullité lorsque celles-ci sont formées de façon connexe ou reconventionnelle à toute autre demande relevant de la compétence des Tribunaux (et notamment les actions en contrefaçon et en concurrence déloyale).
Les Tribunaux resteront toutefois compétents pour les actions en nullité formées à titre principal, lorsque celles-ci seront fondées sur l’existence de droits d’auteurs, de droits de dessins et modèles et/ou de droits de la personnalité antérieurs (article L.711-3 6° et 8° du Code de la propriété intellectuelle).
Actions en déchéance
Devant l’INPI tout comme devant les Tribunaux, l’article L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle précise que toute personne intéressée est susceptible de former une action en déchéance.
A compter du 1er avril 2020 et en vertu de l’article L.716-3 précité, l’INPI sera investi d’une compétence exclusive pour toutes les actions en déchéance formées à titre principal fondées notamment sur :
Là encore, l’INPI partagera sa compétence avec les Tribunaux qui conserveront une compétence pour les actions en déchéance formées à titre reconventionnel d’une action principale dont la compétence relève des Tribunaux (article L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle précité).
Procédure spécifique devant l'INPI pour les actions en nullité et en déchéance formées à titre principal
Lors de l’introduction de la demande en nullité ou en déchéance, un certain nombre d’éléments obligatoires doivent être fournis par le demandeur en nullité ou en déchéance :
S’en suivra une phase contradictoire au cours de laquelle les parties seront amenées à échanger des observations écrites intervenant tous les deux mois selon calendrier. Tout comme pour les procédures d’opposition, l’INPI offrira la possibilité de demander des auditions orales des parties.
A l’issue de cette phase contradictoire, le Directeur Général de l’INPI disposera d’un délai de 3 mois à compter de la fin de la phase contradictoire pour rendre une décision.
Cette décision sera néanmoins susceptible de recours en réformation devant la Cour d’appel compétente au regard du lieu du domicile du défendeur. Ce recours devra être formé dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision aux parties. Pour rappel, la constitution d’avocat est obligatoire devant la Cour d’appel et le recours devant la Cour d’appel est suspensif en vertu des dispositions du Code de procédure civile.
Une procédure classique d’appel sera alors mise en place, au cours de laquelle les premières conclusions de l’appelant devront être signifiées dans un délai de 3 mois à compter de la notification de l’acte de recours.