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Archives du web: Est-ce un mode de preuve recevable…

Vanessa Bouchara

Mise à jour le 16 décembre 2021

Archives du web : Est-ce un mode de preuve recevable des atteintes aux droits de propriété intellectuelle sur internet ?

Lorsqu’un titulaire de droits constate une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle sur internet – atteinte à sa marque, à ses droits d’auteurs, aux droits qu’il détient sur des dessins et modèles ou toute autre atteinte, la question de la preuve de l’atteinte est essentielle.

Les preuves recueillies avant l’engagement de l’action peuvent s’avérer insuffisantes. S’est alors posée la question de savoir s’il était possible de prouver postérieurement à l’atteinte aux droits sur internet en utilisant le site internet Archives du Web qui permet de consulter le contenu de sites internet tel qu’il était à des moments déterminés du passé.

Ainsi, le site Archives du Web permettra de savoir si un site internet a été utilisé de manière interrompue ou encore quel était le contenu du site aux dates auxquelles il a été « aspiré » par les archives du web.

La première décision faisant référence aux Archives du Web a été rendue en 2004 (TGI Paris, 3ème Chambre, 1ère Section, 30 juin 2004).

Le TGI a considéré que l’usage public d’un nom de domaine permettant d’antérioriser une marque postérieure pouvait être prouvé par les résultats de recherche sur le site archives.org.

Puis, la position des Tribunaux, notamment sur la recevabilité des modes de preuve, a évolué.

A partir de 2010 jusqu’en 2014 plusieurs décisions ont été rendues, tant par la Cour d’appel de Paris que par le Tribunal de Grande Instance de Paris refusant de considérer que les Archives du Web étaient un mode de preuve fiable.

Devant la Cour d’appel, un constat avait été dressé sur le site archives.org et avait permis de relever l’existence de pages portant atteinte aux droits du demandeur à la procédure.

La Cour d’appel a toutefois considéré « que l’indication des dates précitées sur la page de résultat des recherches relatives aux pages archivées du site M6 Boutique au cours des années 1996 à 2009 du site The Wayback Machine et en bas des tirages des pages écran n’établit pas avec certitude qu’à chacune de ces dates, s’affichait, dans la configuration imprimée, la page écran correspondant » (CA Paris, pôle 5, ch. 2, 2 juillet 2010 n°09/12757).

La Cour d’appel relevait que le constat avait été effectué à partir « d’un service d’archivage exploité par un tiers à la procédure, qui est une personne privée sans autorité légale, dont les conditions de fonctionnement sont ignorées » et « qu’il ressort de l’extrait des questions posées sur son fonctionnement que cet outil de recherches n’est pas conçu pour une utilisation légale ».

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a par la suite confirmé la décision précitée à plusieurs reprises en reprenant le raisonnement adopté par la Cour d’appel (TGI Paris, 3e chambre 2e section, 9 mars 2012, n° 10/05343; TGI Paris, 3e chambre 1re section, 18 septembre 2012, n° 11/04409; TGI Paris, 3e chambre 3e section, 13 septembre 2013, n° 11/02011).

Pour le Tribunal, les extraits du site Archives du Web, fussent-ils constatés par huissier de justice, sont dépourvus de force probante.

Ainsi, ce site internet n’a pas été considéré comme un mode de preuve recevable en mesure de démontrer l’exploitation sérieuse et continue d’une marque dans le cadre d’une action en déchéance de marque, ou encore, comme étant susceptible de justifier de l’antériorité d’exploitation d’un modèle dans le cadre d’une action sur le fondement du droit d’auteur.

Les Tribunaux semblaient figés sur cette position jurisprudentielle, alors même que ce site est un site fiable utilisé par de nombreux professionnels pour prendre connaissance du contenu de sites à des dates définies et figées dans le passé.

Parallèlement, les experts de l’OMPI ont admis la validité des informations tirées des services d’archivage en ligne tels que les Archives du Web (OMPI, n° D2011-0421).

Le 19 mai 2014, la Cour d’appel de Paris (Pole 5, Chambre 1) procédait à une comparaison de sites internet en faisant référence au site archive.org.

En mai 2014, la Chambre de Recours Technique de l’OEB (Office Européen des Brevets) a rendu une décision particulièrement intéressante puisqu’elle a statué sur la validité du mode de preuve que constitue la consultation du site Archives du Web.

La Chambre de recours de l’OEB revient sur la décision de l’Office ayant considéré que par principe, les archives d’internet ne sont pas fiables.

Pour la Chambre de recours de l’OEB, à moins de circonstances particulières jetant une suspicion sur le contenu des archives présentes sur www.archive.org, le fait qu’un document ait été ainsi archivé constitue en soi une présomption suffisante que le document a bien été accessible au public. Pour la Chambre, bien que cette source puisse être parfois incomplète, cela n’affecte pas la crédibilité de l’information disponible.

La Chambre de recours de l’OEB explique le fonctionnement des archives du web et précise qu’il s’agit d’une initiative d’archivage privé et non-lucratif qui met à la disposition du grand public des instantanés antérieurs de l’Internet et qui depuis sa création en 1996 est devenu très populaire et bénéficie d’une bonne réputation.

Ainsi, il ne saurait suffire à la partie contestant cette preuve de se borner à invoquer un manque de fiabilité de l’archive Internet afin de mettre en doute la date d’accessibilité publique d’un document archivé sur ce site.

C’est ce qu’a retenu le TGI de Paris en 2017 en admettant la recevabilité d’un constat d’huissier de justice établi sur archive.org dès lors que « les défendeurs se bornaient à mettre en cause la force probante de ce constat comme provenant d’un site d’archivage tiers à la procédure, sans produire aucun élément de nature à le contredire » (TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 27 janv. 2017, n°13/09456).

C’est ensuite la Cour d’appel de Paris qui a finalement opéré un revirement de jurisprudence, en rejetant les demandes d’annulation du procès-verbal de l’huissier de justice aux motifs que « tous les prérequis techniques sur le site d’archivage ayant été remplis, il ne saurait être considéré que les opérations de l’huissier de justice […] ne seraient pas fiables ni nécessairement dépourvues de toute portée probatoire » (CA Paris, pôle 5, ch. 2, 5 juillet 2019, n°17/03974).

Ainsi, dès lors que les prérequis techniques ont été respectés par l’huissier de justice lors de son constat verbal, conformément à la norme AFNOR de 2010, la preuve du contenu du site archives.org est recevable.

Depuis, la jurisprudence a continué d’admettre la recevabilité de preuves par constat d’huissier de justice du contenu présent sur des sites d’archives internet, comme archives.org ou Wayback Machine, notamment par la Cour d’appel de Lyon, ou encore de la Cour d’appel de Paris qui ont rejeté la demande d’une partie qui avait sollicité la mise à l’écart d’une pièce ou un constat d’huissier de justice au motif qu’ils n’étaient pas fiables (CA Lyon, ch. 3 A, 4 mars 2021, n°18/02696; CA Paris, pôle 5, ch. 1, 2 mars 2021, n°19/01351).

Dans un récent litige relatif à une contrefaçon de modèles opposant les sociétés MONOPRIX et COMPTOIR DES COTONNIERS, la force probante des pages issues du site archive.org n’a même pas été discutée devant les juges (CA Paris, Pôle 5 – chambre 2, 26 novembre 2021, n° 20/03316)

Dans le cadre d’une action en déchéance de marque (signe ALFEO), l’INPI a rappelé la position de la Cour d’Appel de Paris pour rejeter l’argumentation du demandeur selon laquelle « les captures d’écran de la page d’accueil du site Internet www.alfeo-coc.com issues du site internet archives.org sont irrecevables devant les tribunaux car réalisées dans des conditions inconnues » (INPI, 28 juillet 2021, DC 20-0095).

Ces contenus sont donc recevables en matière de preuves d’usage de marques.

La Cour d’Appel de Grenoble est allée plus loin s’agissant des captures d’écran, et a considéré que « si la cour doit apprécier la valeur probante des pièces qui lui sont soumises, cela ne rend pas pour autant ces pièces irrecevables de sorte que la demande de l’appelante visant à ce qu’elles soient écartées des débats doit être rejetée » (CA Grenoble, 28 janvier 2021, n° 18/01581).

Cette décision doit toutefois être tempérée par le fait que la fiabilité de telles captures est difficile à établir sans le concours d’un huissier de justice.

C’est en ce sens que la Cour d’Appel de Montpellier a rejeté des impressions écran au motif qu’elles ne garantissaient pas la fiabilité de leurs supports, contenus et dates (CA Montpellier, 15 mai 2020, n° 17/02469).

En conclusion, s’il faut encadrer la production de preuves produites dans le cadre d’instances judiciaires, il est aussi indispensable d’utiliser les évolutions de la technique et de s’en servir pour éviter que des atteintes soient abusivement remises en cause devant les tribunaux.

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