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Vanessa Bouchara
Comment une marque banale peut ou non devenir notoire, VENTEPRIVEE.COM un futur cas d’école ?
La marque VENTE PRIVEE.COM a été adoptée sans que le titulaire ne se pose apparemment la question de son caractère distinctif. Effectivement une telle marque qui reprend des termes du langage courant peut apparaître en bien des aspects banale et non-susceptible d’appropriation par un seul acteur du marché. Les Tribunaux ont régulièrement à apprécier la validité des marques déposées et ont tendance à les annuler si elles ne remplissent pas une fonction d’identification des produits et services proposés par une entreprise de ceux de ses concurrents.
Ainsi, la société SHOWROOMPRIVE.COM en a récemment fait l’expérience puisque par décision du 8 octobre 2013, la Chambre de recours de l’Office des Marques communautaires (OHMI, nommé l’EUIPO suite à la réforme de 2015) a refusé l’enregistrement de la marque semi figurative SHOWROOMPRIVE.COM, confirmant ainsi la position prise par l’Office dans une première décision du 15 octobre 2012, nonobstant le fait qu’il s’agissait d’une marque semi figurative comportant un visuel particulier.
Pour la Chambre de recours de l’EUIPO, la marque présente un caractère descriptif car l’expression qui la compose informe immédiatement le consommateur, et sans autre réflexion, que les services demandés sont des services de vente de produits sur internet pour lesquels un accès privé est nécessaire ou un showroom d’accès privé sur internet.
La structure de cette expression ne s’écarte pas des règles grammaticales de la langue française mais y est au contraire conforme, ce que l’Office ne manque pas de relever.
La marques SHOWROOMPRIVE.COM
En conséquence, la marque ne sera pas perçue comme de nature à indiquer une origine commerciale de sorte qu’elle ne rempliera pas sa fonction d’identification d’origine.
En ce qui concerne les éléments figuratifs, la Chambre de recours relève que s’il est vrai que la marque demandée contient des éléments figuratifs qui lui confèrent un certain degré de stylisation, ces éléments ne présentent aucun aspect, notamment quant à la manière dont ils sont combinés, permettant à la marque de remplir sa fonction essentielle d’identification des services sur lesquels porte la demande d’enregistrement.
Plus encore, il est considéré que les éléments figuratifs ne faisaient que renforcer le fait que les services en cause sont vendus par l’intermédiaire d’Internet. Il est intéressant de souligner qu’il n’a pas été tenu compte du fait que la société SHOWROOMPRIVE.COM était titulaire d’autres marques préalablement enregistrées.
Il est relevé le but d’intérêt général des règles applicables en la matière qui exigent que les signes ou indications descriptifs des caractéristiques des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé puissent être librement utilisés par tous.
La demande de marque SHOWROOMPRIVE a de nouveau été refusée à l’enregistrement devant l’EUIPO pour défaut de distinctivité en 2020 (EUIPO, Décision de rejet, demande de marque 018159956, 4 mars 2020). Le déposant n’a pas démontré le caractère distinctif du signe acquis par l’usage puisqu’il n’a pas fourni d’observations en réponse à ce refus.
« La marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales. Ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire. »
La marque VENTE-PRIVEE.COM
La marque avait connu le même sort, devant les Tribunaux parisiens, dans un litige l’opposant justement à SHOWROOMPRIVE.COM. Par décision du 28 novembre 2013, le Tribunal de Grande Instance a considéré que la marque VENTE-PRIVEE.COM était dépourvue de caractère distinctif.
Le Tribunal a en effet relevé que l’expression « vente privée » appartient au langage courant et constitue la désignation usuelle et nécessaire du service éponyme.
En conséquence, pour le Tribunal, ces termes constituaient dès avant 2009 (date du dépôt invoqué dans le cadre de cette procédure) un terme nécessaire pour désigner un service de vente particulier consistant à offrir lors d’évènements limités dans le temps et à un public restreint, des produits de marque en nombre limité résultant d’un déstockage.
Le fait d’adjoindre le .com à la suite de ces deux mots privés de leur accentuation indique seulement que les services de ventes privées sont offerts en ligne et non dans les boutiques.
Le Tribunal a toutefois pris le soin d’examiner si la marque avait acquis une notoriété par l’usage qui en avait été fait.
Toutefois, étant donné que la société VENTE-PRIVEE.COM n’a pas produit d’éléments justifiant de la notoriété de sa marque et ne produit aucun sondage aux débats pour permettre de vérifier ce que le consommateur reconnaît le caractère notoire de la marque ne sera pas retenu.
VENTE-PRIVEE.COM a interjeté appel et obtenu gain de cause devant la Cour d’appel de Paris en 2015.
La preuve de l’usage continu, intense et sur plusieurs années du signe vente-privée.com avait été rapportée, notamment par l’usage de marques complexes reprenant cet élément verbal, pour établir la distinctivité du signe (CA Paris, pôle 5, 31 mars 2015, n° 13/23127).
Les juges précisent que le signe n’ayant acquis un caractère distinctif que par l’usage, les concurrents ne sauraient être privés de l’utilisation de l’expression « vente privée » dans son sens courant.
Un dépôt de marque est en effet entaché de fraude dès lors qu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité (Cass. Com., 25 avril 2006, pourvoi n°04-15.641).
Les juges du fond ont écarté la fraude au motif que la société VENTE-PRIVEE.COM avait un intérêt légitime à protéger son signe qu’elle exploitait depuis de nombreuses années.
La société SHOWROOMPRIVE.COM a formé un pourvoi en cassation et a été déboutée par la chambre commerciale en 2016.
La juridiction suprême rappelle que si le caractère distinctif d’un signe s’apprécie au moment où le juge statue, la demande en nullité pour fraude d’une marque doit être appréciée au jour du dépôt de celle-ci (Cass.Com., 6 décembre 2016, pourvoi n°15-19.048).
Elle a donc reproché à la Cour d’appel de s’être référée à la distinctivité par l’usage, postérieur au dépôt de la marque, pour apprécier la fraude.
Quelques jours après le jugement du Tribunal de Grande Instance du 28 novembre 2013, sur le fondement d’autres marques VENTE PRIVEE.COM déposées en 2004 et 2005 notamment, le même Tribunal autrement composé a considéré que la marque était notoire (TGI Paris, 3e chambre 3e section, 6 décembre 2013, n° 13/14248).
Le Tribunal a notamment tenu compte du chiffre d’affaires des ventes directes sur internet réalisées par la société titulaire de ladite marque, des dépenses liées aux actions promotionnelles et publicitaires, du nombre de ventes, du nombre de membres, du nombre de connexions par jour sur le site, d’articles de presse décrivant notamment le site comme le n° 1 du déstockage sur internet.
D’autres éléments ont également été produits, notamment :
- une étude Médiamétrie.Netratings qui place le site « venteprivee.com » parmi le top 10 des sites les plus consultés par les femmes ;
- une étude de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance réalisée en 2010 classant le site 10ème des sites marchands en France ;
- ainsi qu’un sondage Leo Burnett – BVA réalisé sur internet en 2011 pour le magazine « Capital » faisant apparaître la marque « vente-privee.com » à la quatrième position dans le classement des marques de distribution.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, le Tribunal a considéré qu’il était justifié de la notoriété de « vente-privee.com ».
Malgré les décisions rendues en faveur de la société VENTE-PRIVEE.COM, SHOWROOMPRIVE.COM l’assignait de nouveau en nullité de sa marque complexe (déposée en 2013) pour défaut de distinctivité et fraude.
La société SHOWROOM.COM avait notamment versé aux débats une déclaration de presse de 2007 du dirigeant de son adversaire qui indiquait « si j’arrive à faire en sorte que le terme vente privée nous appartienne un jour, tant mieux ».
Elle soutenait également que la marque complexe avait été déposée uniquement en raison du jugement défavorable de 2013 prononçant la nullité de la marque verbale VENTE-PRIVEE.COM.
Si les juges de première instance ont écarté la nullité pour défaut de distinctivité, ils ont retenu, par un arrêt du 25 juin 2019 (TGI Paris, 3e chambre 1re sec, 3 octobre 2019), la nullité de la marque complexe pour fraude.
Pour la juridiction du fond, la société VENTE-PRIVEE.COM se serait appropriée l’expression générique « vente privée » alors qu’elle ne pouvait ignorer son utilisation générique par les professionnels du secteur lors du dépôt de sa marque.
La Cour d’Appel de Paris, par un arrêt du 17 septembre 2021, infirme le jugement de première instance.
Elle rappelle que le signe devant être pris dans son ensemble, sans que l’on puisse écarter la présence du papillon stylisé, l’expression « vente privée » n’avait fait l’objet d’aucune appropriation par VENTE-PRIVEE.COM (CA Paris, pôle 5, 17 septembre 2021, n° 19/20247).
La Cour s’appuie également sur l’exploitation soutenue du signe complexe entre 2001 et 2013 pour établir l’intérêt légitime de la société VENTEPRIVEE.COM à le déposer à titre de marque. Elle écarte par ailleurs la déclaration de presse de 2007 jugée insuffisante pour caractériser la mauvaise foi du déposant.
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