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Vanessa Bouchara
Défilés de mode et réseaux sociaux
Les « Fashion Week » se succèdent avec toujours autant de magie et de poésie mais ces évènements habituellement réservés à une élite ont vocation aujourd’hui à être partagés avec le plus grand nombre.
En effet, avec l’avènement des réseaux sociaux, les maisons de couture ont su s’adapter pour partager toujours plus avec le public, s’assurant au passage une très grande visibilité médiatique. Ainsi, certaines grandes maisons de mode diffusent en direct et en streaming sur internet les défilés de mode, contentant un public nombreux et curieux. Lorsque la reproduction sur internet n’est pas orchestrée ou autorisée par la maison elle-même, des problématiques juridiques sont amenées à se poser.
La jurisprudence est établie en la matière depuis de nombreuses années.
Quels sont les droits que détiennent les maisons de couture sur les défilés de mode ?
Le défilé de mode : une œuvre de l’esprit
Selon l’article L.112-1 du Code de la propriété intellectuelle toute œuvre de l’esprit peut bénéficier d’une protection « quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. »
L’article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle, qui prévoit une liste non limitative de créations pouvant bénéficier d’une protection par le droit d’auteur, n’énumère pas expressément les défilés de mode comme étant des œuvres de l’esprit.
La question qui s’est alors posée était celle de savoir si les défilés de mode pouvaient être considérés comme protégeables sur le fondement du droit d’auteur.
Dans une décision rendu le 17 janvier 2007, la Cour d’appel de Paris a jugé que les maisons de couture sont titulaires de droit d’auteur sur leurs créations ainsi que sur leurs défilés de mode, lesquels sont des œuvres de l’esprit bénéficiant ainsi de la protection du Code de la propriété intellectuelle dès lors qu’ils sont revêtus d’un caractère original (CA. Paris, 13ème Chambre, 17 janvier 2007, D.2007).
En 2008, la Cour de cassation a considéré que les défilés de mode bénéficiaient du statut d’œuvre protégée par le droit d’auteur (Cass. crim., 5 févr. 2008, n° 07-81.387).
Dans cette affaire, trois photographes ont été assignés par la Fédération française de la couture et d’autres sociétés de haute couture comme Chanel, Christian Dior Couture, Louis Vuitton Malletier ou encore Kenzo, pour contrefaçon d’œuvres de l’esprit en violation des droits d’auteur.
Les photographes avaient transmis à la société Viewfinder Inc, une société de droit américain, des photographies prises lors de différents défilés de mode qui s’étaient tenus à Paris en mars 2003.
Très peu de temps après les défilés, la société américaine avait diffusé les photographies litigieuses sur un site internet.
Les photographes avaient bien eu l’autorisation de prendre des photographies des défilés mais ils n’avaient toutefois pas eu l’autorisation de les diffuser sur le site internet appartenant à la société Viewfinder.
La Cour de cassation a alors jugé que : « (…) les créations et les défilés de mode sont des œuvres de l’esprit sur lesquelles les maisons de couture jouissent d’un droit de propriété protégé par le code de la propriété intellectuelle, (…) qu’en photographiant plusieurs défilés de mode et en contribuant depuis le territoire français à la diffusion en ligne des images ainsi obtenues, sans autorisation des titulaires des droits d’auteur sur les créations qu’elles reproduisaient, sur un site auquel n’était pas étendu le bénéfice des accréditations de presse qu’ils avaient respectivement obtenues, Z.., X.., Y.., ont commis le délit de contrefaçon d’œuvres de l’esprit en violation des droits des auteurs ».
Les maisons de couture sont donc titulaires de droits d’auteur sur les défilés, dès lors qu’ils présentent un caractère d’originalité, et qu’ils expriment la personnalité de leur auteur.
Une autorisation nécessaire avant toute reproduction d’un défilé de mode
Une maison de couture étant titulaire de droits d’auteur sur son défilé et sur les créations, cette dernière dispose donc de la possibilité d’autoriser ou non la reproduction ou la diffusion par un tiers des images de son défilé selon les articles L.122-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Le code de la propriété intellectuelle prévoit cependant, dans son article L.122-5 des exceptions autorisant les tiers à reproduire une œuvre de l’esprit sans autorisation préalable du titulaire.
Ainsi, selon l’article L.122-5, 9° du Code de la propriété intellectuelle, le titulaire d’une œuvre de l’esprit ne peut interdire : « La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur ».
Toutefois, l’exception d’information précitée doit être interprétée restrictivement de telle sorte que la jurisprudence a ainsi considéré que le défilé de mode, œuvre innommée, n’entre pas dans le champ d’application de cette exception.
Les tiers qui souhaitent diffuser un défilé de mode ou des images de ce défilé, sur internet ou les réseaux sociaux, sans autorisation préalable de la maison de couture ne pourraient donc aisément se retrancher derrière l’exception d’information pour échapper à une condamnation pour contrefaçon.
Ainsi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a écarté l’exception prévue par l’article L.122-5, 9° du Code de la propriété intellectuelle et qualifié de contrefaçon la diffusion en ligne de photographies d’un défilé de mode, faute d’avoir obtenu au préalable l’autorisation de la maison de couture (Cass. crim., 5 févr. 2008, n° 07-81.387).
Cette affaire est importante dans la mesure où la diffusion litigieuse était intervenue que quelques heures après le défilé de mode et que les photographes condamnés étaient des photographes accrédités par la maison elle-même.
Toutefois, le site internet sur lequel la société de droit américain a publié les photographies litigieuses ne bénéficiait pas de l’étendue de l’accréditation de presse préalablement obtenue par les photographes.
En effet, seuls les organes de presse qui ont souscrits auprès de la Fédération française de la couture à un engagement de presse sont autorisés à prendre des photos du défilé.
Le droit d’auteur à l’épreuve de la liberté d’expression
Cette affaire judiciaire ne s’est toutefois pas arrêtée là puisque les photographes condamnés avaient saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) sur le fondement de la liberté d’expression.
La CEDH a tout d’abord rappelé que la publication de photographie d’un défilé de mode sur un site internet relève de l’exercice de la liberté d’expression et que la condamnation des requérants pour des actes de contrefaçon constitue une ingérence à la liberté d’expression. Toutefois, la CEDH a considéré que la condamnation pour contrefaçon des photographes ne viole pas l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme protégeant notamment la liberté d’expression (CEDH, Section 5, Arrêt du 10 janvier 2013, Requête n°36769/08, Ashby Donald et autres c. France.)
En effet, elle a jugé que « (…) eu égard à la marge d’appréciation particulièrement importante dont disposaient les autorités internes, la nature et la gravité des sanctions infligées aux requérants ne sont pas telles que la Cour puisse conclure que l’ingérence litigieuse était disproportionnée par rapport au but poursuivi. »
En conclusion, les maisons de couture sont titulaires de droits d’auteur sur les défilés de mode ce qui leur permet de les diffuser sur les réseaux sociaux tout en contrôlant les exploitations pouvant être faites par des tiers sur internet.
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