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La distinctivité ab initio et la distinctivité par…

Vanessa Bouchara

Mise à jour le 16 janvier 2022

La distinctivité ab initio et la distinctivité par l’usage des marques – arrêt venteprivee.com
(Cass.com 6 décembre 2016)

La distinctivité est LA condition de validité d’une marque. En effet, selon l’article L.711-2 du Code de Propriété intellectuelle : « Ne peuvent être valablement enregistrés et, s’ils sont enregistrés, sont susceptibles d’être déclaré nuls (…) 2° Une marque dépourvue de caractère distinctif ». Il s’agit d’un principe fondamental en droit des marques comme l’ont affirmé les arrêts « Hag » CJCE 17/10/1990 (CJCE, 17 octobre 1990, aff. C-10/89, SA CNL-SUCAL NV c/ HAG GF AG) ou encore « Arsenal Football Club » 12/11/2002 (CJCE, 12 novembre 2002, aff. C-206/01, Arsenal Football Club plc c/ Reed).

Une marque est distinctive lorsqu’elle permet de distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux qui sont proposés par ses concurrents. Ce caractère s’apprécie en fonction des produits et services pour lesquels la marque a été déposée. La marque permet aussi d’indiquer et de garantir l’origine des produits et des services proposés par l’entreprise. Elle ne doit pas choisir des mots génériques ou utiliser dans le langage courant qui ferait référence aux produits et services pour lesquels elle est enregistrée (Article L711-2 du Code de la Propriété intellectuelle : « Ne peuvent être valablement enregistrés et, s’ils sont enregistrés, sont susceptibles d’être déclaré nuls : 4° Une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce »).

Par exemple, la marque ORANGE pour désigner des services de téléphonie mobile est tout à fait distinctive. La marque VETEMENTS pour désigner des vêtements ne le serait pas.

Pendant longtemps, il était aisé d’obtenir l’enregistrement de marques peu distinctives devant l’INPI et cela était plus difficile devant l’EUIPO (Office des Marques de l’Union européenne).

Aujourd’hui, il est devenu beaucoup plus complexe d’obtenir l’enregistrement, en tant que marque française, d’une marque peu distinctive, même parfois avec un élément figuratif. Quand bien même la marque sera effectivement enregistrée, si cette dernière n’est pas suffisamment distinctive, il y a un risque qu’elle soit annulée par les Tribunaux dans le cadre d’une action en nullité.

A titre d’exemple,  les Tribunaux français ont annulé, pour défaut de distinctivité, la marque « I LOVE PARIS » (Cour de cassation, civ. Com. 6 janvier 2015, 13-17.108), au bout de trente ans d’exploitation, pour désigner des articles de souvenirs, ou encore la marque « CHOCO COOKIE » (Cour d’appel, Pôle 05, ch.01, 29 mars 2016 n°14/23575) pour désigner des boissons à base de café.

La question qui se pose souvent en jurisprudence est celle de savoir si une marque, qui n’est pas distinctive à l’origine, peut acquérir un caractère distinctif par l’usage.

Cela est particulièrement important pour les entreprises qui ont pu décider de s’identifier avec une marque parlante qu’ils ne pouvant être changée par la suite.

L’enjeu pour ces entreprises est que cette marque, si elle n’est pas protégeable, pourra alors être librement utilisée par tous les autres acteurs du marché.

Les entreprises doivent être alertées et sensibilisées par leur avocat en droit des marques ou leur avocat en propriété intellectuelle afin de mettre en place des actions qui pourront les aider à obtenir la reconnaissance du caractère distinctif par l’usage de leur marque en cas de remise en cause de la validité de cette marque par un tiers.

Il est en effet possible pour une marque d’acquérir le critère de distinctivité par l’usage en l’enregistrant auprès de l’INPI ou EUIPO seulement après que la marque ait acquis un caractère distinctif dans l’esprit du public.

En effet, l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que le caractère distinctif peut s’acquérir par l’usage. Toutefois, l’article ne donne pas plus de précision concernant la date à laquelle il convient de se placer pour apprécier la distinctivité d’une marque.

La Cour de Justice de l’Union européenne s’était déjà positionnée, dans une décision du 19 juin 2014 (CJUE 19 juin 2014, aff. C-217/13), sur la question en admettant la possibilité de prendre en compte des actes d’usage datant du dépôt afin de déterminer la distinctivité d’une marque par l’usage. Dans cette décision la CJUE précise que la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage dépend d’un certain nombre d’éléments et notamment :

  • De la part de marché détenue par la marque,
  • De l’intensité, étendue géographique, et durée de l’usage de la marque,
  • De l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir,
  • Ou encore de la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit ou service comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque.

L’apport de l’arrêt « venteprivee.com »

La société « Vente privée.com » a fait l’objet de nombreuses décisions de justice concernant la validité de la marque « Vente-privée.com » et plus particulièrement concernant la détermination de l’acquisition de la distinctivité par l’usage d’une marque.

La saga judiciaire a débuté le 28 novembre 2013 (TGI Paris, 28 nov. 2013, RG n° 12856), dans l’affaire « Venteprivee c/ Showroomprive », le Tribunal de Grande Instance a considéré que la marque « Venteprivee.com » était dépourvue de caractère distinctif car la marque ne fait que décrire les services de la classe 35 visés au dépôt, et notamment les services de ventes promotionnelles permettant aux clients d’acheter en ligne des produits et services de tiers, et l’a donc annulée.

En effet, le concept même du terme « vente privée » est la vente réservée à un certain nombre de personne, sur une période délimitée et proposant des produits ou services à des prix réduits. C’est cette même activité que propose la société « Vente privée.com ». La marque n’est donc pas distinctive.

Dans une seconde décision du 6 décembre 2013, devenue définitive, le Tribunal de Grande Instance a en revanche considéré que la marque « Vente.privée.com » était une marque notoire.

Il a été formé appel du jugement du 28 novembre 2013 et dans un arrêt du 31 mars 2015 (CA Paris, pôle 5, 1ère ch. 31 mars 2015 n°13/23127), la Cour d’Appel de Paris a infirmé le jugement du Tribunal de Grande Instance, considérant que la marque « Vente privée.com » avait acquis un caractère distinctif par l’usage.

La société Showroomprivee.com s’est ensuite pourvue en cassation, pourvoi qui a été rejeté par la Cour de cassation dans un arrêt du 14 décembre 2016 (Cour de cassation, 6 décembre 2016 n°15-19.048) au motif que la Cour d’appel de Paris a justement :

« pu déduire que la marque verbale « vente-privee.com » avait acquis par l’usage un caractère distinctif au regard des services de promotion des ventes pour le compte des tiers et de présentation de produits sur tout moyen de communication pour la vente au détail ainsi que des services de regroupement pour le compte de tiers de produits et de services, notamment sur un site web marchand, désignés à son enregistrement ».

Dans cette dernière décision, la Cour de cassation a apporté des précisions quant à l’acquisition de la distinctivité par l’usage d’une marque. Cette décision démontre que sous certaines conditions, une marque peu distinctive à l’origine, peut devenir protégeable.

La marque « Venteprivée.com », qui était ab initio dépourvue de caractère distinctif au moment de son dépôt, a acquis une distinctivité du fait de son usage auprès des consommateurs.

Toutefois, une telle marque restera faible en ce que son titulaire ne pourra pas s’opposer à l’usage des termes « vente privée » par un concurrent de manière totalement descriptive.

Si cette possibilité pour les marques de voir reconnaître leur caractère distinctif dans un second temps est une très bonne chose, il ne faudrait pas aller trop loin…

Par exemple, ela marque de vêtement suisse haut de gamme dénommée « VETEMENTS » n’a apparemment pas été déposée en tant que marque. Est-ce que l’exploitant d’une telle marque pourrait, si elle devenait très connue, obtenir l’enregistrement de la marque qui aurait acquis un caractère distinctif par l’usage ? En théorie, oui, mais en pratique il est bien plus probable qu’elle soit annulée pour défaut de distinctivité bien avant qu’elle n’en acquiert.

Dans des décisions plus récentes, la Cour d’appel (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 1, Arrêt du 15 janvier 2019, Répertoire général nº 17/16677) a précisé qu’il est également possible de prendre en compte la notoriété et l’usage intensif de la dénomination sociale et du nom commercial d’une marque pour apprécier si une marque a acquis une distinctivité par l’usage.

Pour conclure, une marque qui serait, ab initio, dépourvue de caractère distinctif peut acquérir une distinctivité en prenant en compte des actes d’usage postérieurs à l’enregistrement.

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