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Vanessa Bouchara
La nécessaire mesure dans les propos tenus par une partie dans le cadre de l’évocation d’une procédure judiciaire en cours
L’association A Votre Service, dont l’activité est de contrôler, informer et orienter la communauté musulmane sur la consommation des produits Halal, est titulaire de nombreuses marques, dont la marque AVS, déposée le 27 octobre 2010 pour désigner notamment « la boucherie » et « la charcuterie ». L’ensemble des marques appartenant à l’association ne peuvent être utilisées que par des personnes ayant obtenu un agrément (TGI Paris, ch. 3, section 2, 24 janvier 2014 RG : 12/15058).
L’association A Votre Service a constaté l’utilisation par la société ADJ D de sa marque « AVS » sur des tracts, dépliants et sur son site internet, « www.al.mumin.fr », de vente par correspondance de produits alimentaires alors que celle-ci n’avait pas obtenu d’agrément au préalable.
Elle l’a donc assignée sur le fondement de la contrefaçon de marque et du parasitisme car seules les personnes agréées sont autorisées à exploiter ces marques et qu’elle n’accorde pas son agrément aux sites internet de vente par correspondance qui ne disposent pas d’une structure d’accueil du public. Le Tribunal a reconnu les actes de contrefaçon en raison du risque de confusion sur l’origine des produits pour les consommateurs qui souhaiteraient acheter des produits garantis Halal.
La société défenderesse a formulé une demande reconventionnelle en dénigrement et atteinte à sa e-réputation. L’association souhaitant informer les consommateurs du comportement frauduleux auquel se livrait, selon elle, la société défenderesse, a alors écrit sur son site internet et sur sa page Twitter, les mentions respectives « Attention Fraude » et « Fraude ». La société défenderesse estimait que l’association avait porté atteinte à ses intérêts commerciaux et à sa e-réputation…
La société défenderesse soutient que ce comportement est de nature à porter atteinte à son activité exclusive de vente en ligne, plusieurs consommateurs se seraient manifestés pour lui faire part de leur perplexité et défiance, et ce d’autant que les messages sur les réseaux sociaux restent durablement accessibles. Toutefois, cette dernière n’en apporte pas la preuve.
L’association soutenait qu’elle n’avait fait qu’informer les consommateurs de l’utilisation non autorisée de sa marque, justifiant ainsi l’emploi du terme fraude, qu’il convient d’entendre comme un acte contraire à la loi ou au règlement. Cependant, l’argumentation de l’association n’a pas été accueillie favorablement par le Tribunal.
Les juges ont estimé que s’il n’apparait pas illégitime, pour une association qui s’est donnée pour but de certifier l’origine d’un produit par le biais d’un label, de porter à la connaissance des consommateurs éventuels, par tous les moyens possibles, qu’une société utilise selon elle indûment ce label, elle doit toutefois faire attention, dans l’attente d’une décision de justice, à ne pas porter le discrédit sur la personne physique ou morale qu’elle entend dénoncer.
Les mots choisis par l’association ont été considérés comme étant de nature à dénigrer durablement la société visée, la fraude étant communément comprise comme un défaut rédhibitoire chez un fournisseur comme chez un partenaire, qu’il convient dès lors de fuir.
En conséquence, bien que la contrefaçon ait été effectivement retenue par le Tribunal, l’association a toutefois été condamnée à verser à la société défenderesse la somme de 3.000 en réparation du préjudice résultant du dénigrement.
En pratique le dénigrement constitue un acte de concurrence déloyale qui ne peut être invoqué que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle prévue à l’article 1240 du Code civil. (Art. 1240 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »). Pour caractériser un dénigrement, il faut donc démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux.
Or dans la décision citée, la société défenderesse n’a pas démontré avoir subi un quelconque préjudice, faisant simplement état du fait que plusieurs internautes auraient été « perplexes » et « défiants » face aux commentaires tenus par l’association, sans apporter la preuve de tels courriers.
Il semblerait que pour le Tribunal, les mots choisis par l’association sont en eux-mêmes de nature à dénigrer la société défenderesse et ouvrent un droit à réparation de façon automatique.
Ce raisonnement n’est toutefois pas surprenant puisque les juges ont tendance à présumer le préjudice en matière de dénigrement. En effet, le préjudice s’infère nécessairement du seul dénigrement. Cette formule a pu être reprise dans de nombreuses décisions (CA Rouen, 24 mars 2017, RG n°15/05832 ; Cass com, 11 janvier 2017 n°15.18.669 ; CA Paris, pôle 5, Chambre 4, 7 juin 2017, RG n°14/1758 ; Cass com. 15 janvier 2020, n°17-27.778).
Dans la même logique, la Cour de cassation reconnait qu’il est indifférent que la société ayant tenus des propos dénigrants soit en concurrence avec l’autre société, dès lors que les propos tenus sont de nature à jeter le discrédit sur l’autre société (Cass. Com. 9 janvier 2019 n°17-18.350). Les juges ne prennent pas non plus en compte l’exactitude de l’information divulguée pour caractériser un dénigrement, quand bien même celle-ci permettrait d’assurer la sécurité des consommateurs, dès lors qu’elle est de nature « à jeter le discrédit sur un concurrent. » (Cass.com., 24 septembre 2013, n°12-19.790).
Toutefois, la Cour de cassation, dans une décision de 2019 (Cass. Com. 9 janvier 2019 n°17-18.350), énonce que le dénigrement doit être écarté lorsque l’information litigieuse :
- est divulguée avec mesure,
- présente un lien avec un sujet d’intérêt général et,
- repose sur une base factuelle suffisante.
Or en l’espère, une société avait révélé aux clients d’un concurrent l’existence d’une action en contrefaçon n’ayant pas encore donné lieu à une décision de justice définitive. Ces propos ont été jugés dénigrants car la société ne se fondait pas sur une base factuelle suffisante.
Il est de jurisprudence constante que la révélation d’une information relative à une action n’ayant pas donné lieu à une décision définitive puisse être constitutive d’une faute.
Plus récemment, la Cour de cassation a censuré les juges d’appel qui avaient rejeté la demande de dommages et intérêts formée à l’encontre de la société Optical Center par la société Atol sur le fondement du dénigrement, au motif que le demandeur à l’action n’était pas identifiable dans les informations litigieuses communiquées par le défendeur (Cass.com, 27 janvier 2021, 18-14.774).
Dans cette espèce, la société Optical Center annonçait dans un article d’un magazine l’Opticien des attaques judiciaires à l’encontre de douze enseignes et indépendants accusés de fraude, sans mentionner expressément la société Atol. Contrairement aux juges d’appel, la Cour de cassation a considéré que la société Atol était parfaitement identifiable dès lors que les douze enseignes représentaient la quasi-totalité des enseignes opérant sur le marché de l’optique en France. La Cour de cassation a donc fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si la référence aux « douze enseignes » n’emportait pas la désignation nécessaire de la société Atol.
Ainsi, l’appréciation du dénigrement par les juges semble être souple tant pour caractériser les actes de dénigrement, que pour identifier le destinataire des actes litigieux.
En effet, seule la nature des mots employés semble véritablement compter pour retenir la qualification de dénigrement, sauf à remplir les trois critères posés par la Cour de cassation dans sa décision de 2019.
L’évocation d’une procédure judiciaire, à introduire ou en cours, tend à constituer à elle seule un acte de dénigrement dès lors qu’une décision définitive n’a pas été rendue.
Si toutefois une décision définitive était évoquée, pour échapper à la qualification de dénigrement, cette information doit être exprimée avec mesure et relever d’un sujet d’intérêt général.
Enfin, quand bien même la personne visée ne serait pas expressément mentionnée, les juges sont tenus de rechercher si elle ne pourrait pas être immédiatement identifiable au regard des informations communiquées.
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