Actus & medias > Actualités >
Vanessa Bouchara
La page Facebook, une valeur à part entière pour l’activité d’un commerçant
Par un arrêt du 18 décembre 2014, la 1ère Chambre civile A de la Cour d’appel de Lyon donne une place toute particulière à la page Facebook d’un commerçant dans une affaire de concurrence déloyale opposant deux acteurs du marché en ligne de la spiruline alimentaire – aliment bactérien utilisé comme complément alimentaire. La Cour condamne une société à la somme de 20 000,00 euros en indemnisation du préjudice commercial pour avoir fait bloquer les deux pages Facebook de son concurrent.
Monsieur C. exploite un site internet informatif, www.spirulinedefrance.fr, et un site marchand, www.village-spiruline.fr, tous deux dédiés à la spiruline. Afin de promouvoir son activité, ce dernier a créé deux pages Facebook « laspiruline » et « villagespiruline ».
Il reproche à la société Spiruline Sans Frontière (SSF) d’avoir déposé la marque française « Spiruline de France » (n° 3987515) le 4 mars 2013 au motif que cette marque serait descriptive et la marque française « Village Spiruline » (n° 3983496) le 17 février 2013 au motif qu’elle aurait été déposée en fraude de ses droits antérieurs sur son nom de domaine « village-spiruline.fr » réservé le 11 septembre 2011.
Il reproche également à SSF d’avoir engagé une procédure Syreli (permettant la résolution de litiges extrajudiciaires proposée par l’AFNIC) à son encontre qui, bien qu’ayant échoué en raison de l’antériorité de Monsieur C., a entrainé le gel de ses noms de domaine pendant la procédure.
Et enfin, et c’est l’intérêt principal de cette affaire, il reproche à SSF d’avoir demandé à Facebook, au mois d’avril 2013, le blocage de ses pages « Village Spiruline » et « SpirulineFrance » sur le fondement de droits indument acquis, i.e. une marque descriptive et une marque frauduleusement déposée, et prétend ainsi avoir subi un préjudice dont il demande réparation puisque l’une de ces pages a été bloquée pendant près d’un an. La SSF a, en effet, refusé de retirer sa plainte, puis elle a tardivement notifié la décision de première instance à Facebook en indiquant qu’elle retirait sa plainte, et que l’autre page Facebook n’a toujours pas été remise en ligne (pour des raisons inconnues).
La Cour confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Lyon du 17 décembre 2013 qui avait fait droit aux demandes de Monsieur C. et augmente le montant de l’indemnisation due à Monsieur C. au titre de son préjudice commercial.
- En premier lieu, la Cour confirme le caractère descriptif de la marque « Spiruline de France » et prononce l’annulation de la marque.
- En second lieu, la Cour rappelle que le « nom de domaine constitue, au sens de l’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle (désormais article L.711-3 du Code de la propriété intellectuelle), une antériorité interdisant l’enregistrement ultérieur d’un signe identique afin de désigner des produits ou services identiques ou similaires, qui porte atteinte aux droits qui y sont attachés », sous réserve que celui-ci fasse l’objet d’une exploitation effective. Il est désormais bien établi qu’une personne titulaire et exploitante d’un nom de domaine est recevable et bien-fondée à demander l’annulation (ou le transfert en cas de dépôt frauduleux) de l’enregistrement d’une marque identique sur le fondement de cet article. Depuis la transposition en droit français du « Paquet Marques (Directive (UE) n°2015/2436 et Règlement (UE) n°2017/1001) », il est aussi possible d’invoquer, comme droits antérieurs, les noms de domaine dans le cadre d’une procédure d’opposition à l’encontre d’une demande de marque, prévus à l’article L.712-4 du Code de la propriété intellectuelle.
En l’espèce, la Cour en conclut que le dépôt, par SSF de la marque « Village Spiruline », porte atteinte aux droits antérieurs de Monsieur C. sur le nom de domaine « village-spiruline.fr » et que ce dépôt est frauduleux.
- Enfin, et c’est l’apport majeur de cet arrêt, la Cour s’attache à relever l’impact d’une page Facebook sur l’activité marchande d’un commerçant. Pour la Cour, Facebook est « un média sur lequel les évènements vont vite et où, notamment, la disparition d’une page crée un dommage immédiat ».
Selon la Cour, « le blocage des pages Facebook a porté préjudice à M. C., puisqu’il a perdu, pendant presqu’un an, l’exposition dont il bénéficiait jusqu’alors » et « dans ces conditions, le positionnement sur Facebook est à reconstruire et un chiffre d’affaires est perdu ».
Alors qu’une page Facebook ne permet pas de vendre un produit en ligne, la Cour établit un lien direct entre le blocage d’une page Facebook et la baisse du chiffre d’affaires d’un commerçant.
La Cour prête au blocage des pages Facebook des conséquences importantes sur le commerce en ligne : « De ces observations, il résulte qu’un chiffre d’affaires, et donc une marge, ont été perdus par le blocage des pages Facebook et qu’il est certain que cette circonstance a eu une incidence sur la dégradation, tant du classement dans le moteur de recherches le plus utilisé en France [i.e. Google], que de la fréquentation effective du site marchand ».
Monsieur C. soutenait notamment que la position de son site était descendue à la 14ème place sur le moteur de recherche Google lorsqu’on faisait une recherche avec le mot clé « spiruline », alors que celui-ci était en 3,7ème place avant la suppression de ses pages Facebook.
La Cour en conclut qu’« il en résulte, comme l’expose M. C., une perte de visibilité et de crédibilité, ainsi qu’un signal défavorable au référencement et une perte de contenus ».
Pour la Cour, le blocage d’une page Facebook s’assimile pour les consommateurs à une perte de « repère pour faire des achats ».
De ces constats, la Cour évalue la perte commerciale de Monsieur C. à la somme de 20 000,00 euros.
En outre, la Cour condamne SSF à transférer, à ses frais, la marque « Village Spiruline » à Monsieur C. et à lui payer la somme de 7 000,00 euros au titre de l’instance d’appel.
Cet arrêt a un double intérêt pratique. Il invite à utiliser de plus en plus les données de fréquentation des pages sur les réseaux sociaux et le nombre de « like » ou « follow » pour démontrer la réalité de ses investissements et défendre ses intérêts devant le juge ; et il offre une possibilité de s’opposer à une utilisation frauduleuse des outils de défense des droits mis en place par les réseaux sociaux comme Facebook par ses concurrents et d’en demander réparation.
Actus récentes
La disponibilité du signe
Mise à jour le 07/01/2021
Pour être déposé à titre de marque, le signe choisi doit, en plus d’être licite et distinctif, être disponible(…)
Dans quelles circonstances un concurrent peut-il utiliser de manière licite la marque d’un tiers sur Internet ?
Mise à jour le 16/12/2021
La marque possède le pouvoir de fédérer une clientèle. De manière impulsive, instinctive, irréfléchie. Parfois, aveugle(…)
L’usage de photographies de tiers sans autorisation
Mise à jour le 24/12/2021
Les photographies sont considérées, selon l’article L.112-2 9° du Code de la propriété intellectuelle comme étant des œuvres de l’esprit.(…)
L’utilisation du produit d’un tiers dans une publicité : l’appréciation du caractère accessoire par les Tribunaux.
Mise à jour le 23/12/2021
Il arrive fréquemment que les annonceurs utilisent dans leurs publicités des produits de sociétés tierces qui sont des créations protégées au titre des droits d’auteurs(…)