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La protection du nom des collectivités territoriales…

Vanessa Bouchara

Mise à jour le 16 janvier 2022

La protection du nom des collectivités territoriales par les dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle

Les collectivités territoriales (régions, départements, communes), bénéficient en tant qu’organes de droit public exerçant sur leur territoire des compétences qui leurs sont dévolues par l’Etat, d’un statut particulier dont le législateur a tenu compte en prévoyant notamment au sein du Code de la Propriété intellectuelle, des fondements spécifiques leurs permettant d’agir contre les atteintes qui seraient portées à leurs nom, image ou réputation (I).

Ces fondements spécifiques comportent néanmoins des limites qui poussent les collectivités territoriales à faire usage d’autres outils juridiques et notamment le dépôt d’une marque afin de protéger leur nom (II).

Néanmoins, il reste possible pour les tiers d’acquérir des droits de marques sur le nom d’une collectivité territoriale à condition de ne pas agir en fraude des droits ou de commettre d’agissements déloyaux ou parasitaires notamment (III).

I – L’évolution des dispositions spécifiques du Code de la Propriété intellectuelle

  • Les dispositions existantes avant la Loi n°2014-344 du 17 mars 2014 (Loi relative à la consommation, dite « Loi Hamon »)

Depuis 1992, et ce jusqu’à fin 2019, l’ancien article L.711-4 h) du Code de la Propriété intellectuelle prévoyait que :

« Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : 

[…] h) Au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale. »

Sur le fondement de cet article, les collectivités territoriales disposaient d’ores et déjà d’un outil leur permettant d’empêcher un tiers d’acquérir des droits de marque sur un signe constitué en tout ou partie du nom d’une collectivité territoriale.

En pratique, le texte pouvait être mis en œuvre par les collectivités territoriales de deux manières :

Soit a priori, afin de tenter d’obtenir le refus d’enregistrement du signe reprenant son nom, par le biais du dépôt auprès de l’INPI d’observations de tiers, par application des dispositions de l’ancien article L.712-3 du Code de la Propriété intellectuelle qui prévoyait que « pendant un délai de deux mois suivants la publication de la demande d’enregistrement, toute personne intéressée peut formuler des observations auprès du [Directeur de l’INPI] ».

Ainsi, dans le délai de deux mois à compter de la publication d’une demande de marque reprenant le nom d’une collectivité territoriale, l’organe concerné pouvait déposer des observations auprès de l’INPI visant à établir notamment l’atteinte portée par le signe litigieux à son nom, son image ou sa renommée, au sens de l’ancien article L.711-4 h).

Néanmoins, cette procédure comporte une limite en ce que, contrairement à la procédure d’opposition, l’INPI peut tenir compte des observations qui lui sont présentées par les tiers intéressés, dont il se doit d’ailleurs de transmettre une copie au déposant, mais n’est pas obligé de tenir compte de ces observations, ni même d’y répondre.

Soit a posteriori, dans le cadre d’une action judiciaire en nullité d’une marque d’ores et déjà enregistrée qui reproduit le nom de la collectivité territoriale.

Cela étant, les dispositions de l’ancien article L.711-4 h) ne conféraient pas un droit absolu permettant aux collectivités territoriales d’obtenir l’invalidation de toutes les marques reprenant leur nom du seul fait de cette reprise. Encore faut-il que l’organe à l’origine de l’action démontre, conformément aux dispositions de cet article, que le signe litigieux porte atteinte à son nom, son image ou sa réputation et donc que l’enregistrement de la marque litigieuse lui cause un préjudice.

C’est ce qu’a d’ailleurs précisé de manière extrêmement claire la Cour de cassation (Cass. Com., Pourvoi n°07-19542, 23 juin 2009) :

« Mais attendu que l’article L. 711-4 h) du code de la propriété intellectuelle n’ayant pas pour objet d’interdire aux tiers, de manière générale, de déposer en tant que marque un signe identifiant une collectivité territoriale, mais seulement de réserver cette interdiction au cas où résulte de ce dépôt une atteinte aux intérêts publics, la cour d’appel n’avait pas à répondre à des conclusions inopérantes soutenant qu’une telle atteinte résulterait de ce seul dépôt ; »

Or, il ressort de la jurisprudence que, même si le droit des collectivités territoriale sur leurs nom, image et réputation, découlant notamment de l’ancien article L.711-4 h), n’est pas soumis au principe de spécialité, les juges recherchent, afin de déterminer si l’atteinte est constituée, si le signe litigieux entraîne un risque de confusion avec les attributions de la collectivité territoriale.

Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de Paris a notamment pu considérer que l’enregistrement de la marque JEUNES A PARIS pour désigner des services de télécommunication en classe 38 (TGI de Paris, RG n°03/04735, 24 novembre 2004), ou encore la dénomination sociale PARIS PLAGE (TGI Paris, RG n°05-16680, 3 mai 2006), ne portaient pas atteinte aux nom, image ou réputation de la ville de Paris, dans la mesure où les services désignés par les signes contestés ne relevaient pas exclusivement des attributions municipales de sorte que le public n’est pas amené à penser que lesdits services émanaient de la ville de Paris elle-même.

C’est dans ces circonstances, et notamment après les jurisprudences Laguiole (TGI de Paris, RG n°10/08800, 13 septembre 2012 ; CA Paris, RG n°12/20559, 4 avril 2014 – voir La saga judiciaire Laguiole) que le législateur a cherché à renforcer les moyens légaux à la disposition des collectivités territoriales, tout en conservant les outils existants.

  • Les dispositions mises en place par la Loi n°2014-344 du 17 mars 2014

La Loi Hamon a notamment modifié l’ancien article L.712-4 qui prévoyait alors dans son 3° que :

« Pendant le délai imparti à l’article L.712-3, opposition à la demande d’enregistrement peut être faite auprès du directeur de l’Institut national de la propriété industrielle par :

[…]Une collectivité territoriale au titre du h de l’article L.711-4 ou au titre d’une atteinte à une indication géographique définie à l’article L.721-2, dès lors que cette indication comporte le nom de la collectivité concernée ; »

Les collectivités territoriales disposaient donc depuis 2014 d’une nouvelle possibilité qui est celle de s’opposer en amont à l’enregistrement d’une marque portant atteinte à leur nom, image ou renommée.

Par ailleurs, la loi de 2014 avait également rajouté l’article L.712-2-1 au sein du Code de la Propriété intellectuelle qui prévoit que :

« Toute collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale peut demander à l’Institut national de la propriété industrielle d’être alerté en cas de dépôt d’une demande d’enregistrement d’une marque contenant sa dénomination, dans des conditions fixées par décret. »

Depuis la mise en place effective de ce système d’alerte, par décret du 15 juin 2015, plusieurs oppositions ont été formées par des collectivités territoriales sur ce fondement.

Ainsi, la commune de Paris a pu former opposition notamment à l’encontre de la demande de marque  sur le fondement de l’atteinte portée à ses nom, image et renommée et a obtenu le rejet partiel de ce dépôt pour les vêtements, dans la mesure où l’INPI a considéré que ces produits relevaient du secteur de l’habillement, dans lequel la commune de Paris intervient activement (INPI, Opposition n°16-3836, 27 février 2017). Dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris a d’ailleurs été plus loin encore en considérant que la demande de marque litigieuse portait également atteinte au nom et à la renommée de la commune de Paris s’agissant des produits de joaillerie et maroquinerie pour lesquels l’INPI avait rejeté l’opposition (CA Paris, RG n°17/06317, 26 juin 2018).

  • La transposition de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015

En 2015, une réforme visant à harmoniser et moderniser le droit des marques au sein de l’Union européenne a été adopté par le Parlement européen, réforme dite « Paquet Marques ».

Cette réforme a conduit à l’adoption de la Directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015, laquelle a été transposée en droit français par l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 et le décret n°2019-1316 du 9 décembre 2019. La réforme est entrée en vigueur le 11 décembre 2019.

La réforme n’a pas particulièrement apporté de nouveautés en matière de protection des noms, images et renommées des collectivités territoriales. Cependant, certaines dispositions servant de base aux actions des collectivités ont été modifiées.

Tout d’abord, l’article L.711-4 du Code de la propriété intellectuelle a été abrogé, et ses dispositions ont été intégrées à l’article L.711-3 qui dispose désormais que :

« Ne peut être valablement enregistré et, si elle est enregistrée, est susceptible d’être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment :

[…] 9° Le nom, l’image, ou la renommée d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale ; »

L’essence de la disposition reste la même, les collectivités territoriales peuvent toujours faire opposition au dépôt d’une marque sur la seule base de leur nom, leur image ou leur renommée. Cependant, cette modification a également étendu cette possibilité aux entités publiques et les établissements publics de coopération intercommunale.

Ensuite, l’article L.712-4 du même Code a encore une fois été modifié, et prévoit désormais que :

« Dans le délai de deux mois suivant la publication de la demande d’enregistrement, une opposition peut être formée auprès du directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle à l’encontre d’une demande d’enregistrement en cas d’atteinte à l’un des droits antérieurs suivants ayant effet en France :

[…] 6° Le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale ; 

[…] Une opposition peut également être formée en cas d’atteinte à une marque protégée dans un Etat partie à la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle dans les conditions prévues au III de l’article L. 711-3. »

Enfin, l’article L.712-3 a également été modifié comme suit :

« Dans le délai de deux mois suivant la publication de la demande d’enregistrement, toute personne peut formuler, auprès du directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle, des observations écrites précisant les motifs pour lesquels la demande d’enregistrement devrait être rejetée en application des 2° et 3° de l’article L. 712-7.

Dans le délai de deux mois suivant la publication du règlement d’usage, toute personne peut également formuler, auprès du directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle, des observations écrites précisant les motifs pour lesquels la demande d’enregistrement devrait être rejetée en application des dispositions des articles L. 715-4 et L. 715-9. »

Ces deux dernières modifications n’apportent pas particulièrement de changement en ce qui concerne les droits des collectivités territoriales sur leur nom.

L’article L.712-2-1 du Code de la propriété intellectuelle reste, quant à lui, inchangé.

Néanmoins, malgré toutes les solutions prévues dans le Code de la propriété intellectuelle, les collectivités territoriales se fondent toujours sur leurs marques quand elles le peuvent de manière alternative ou cumulative.

II – Le recours par les collectivités territoriales au dépôt de marques pour la protection de leur nom

De nombreuses collectivités territoriales déposent leurs dénominations à titre de marque (Ville de Paris, Saint Tropez, Deauville…) pour des produits et services variés.

L’acquisition d’un tel droit permet aux collectivités territoriales, non seulement d’exploiter leur nom dans le cadre d’une activité commerciale pour désigner des produits et services dérivés, notamment par le biais de concessions de licences concédées à des sociétés spécialisées dans les secteurs concernés, mais également d’opposer leurs droits à des tiers de manière parfois plus efficace que sur le seul fondement de l’article L.711-3 9° (ou ancien article L.711-4 h).

Ainsi, dans sa décision du 3 mai 2006, le Tribunal de Grande Instance de Paris a débouté la ville de Paris de son action en nullité introduite à l’encontre de la dénomination sociale PARIS PLAGE sur le fondement de l’atteinte portée au nom de la ville de Paris, mais lui a néanmoins donné gain de cause sur le fondement de sa marque antérieure  n°02 3 719 001 (TGI Paris, RG n°05-16680, 3 mai 2006).

Par ailleurs, le Directeur Général de l’INPI a notamment rejeté les demandes de marques suivantes dans le cadre de procédures d’opposition introduites par des collectivités territoriales, sur le fondement de l’existence d’un risque de confusion avec les marques antérieures détenues par l’opposant :

  • La demande de marque BISCUITERIE DE DEAUVILLE  sur le fondement de la marque antérieure DEAUVILLE appartenant à la Commune de Deauville (INPI, Opposition n°15-5576, 25 avril 2016) ;
  • La demande de marque  sur le fondement de la marque antérieure SAINT TROPEZ appartenant à la commune de Saint Tropez (INPI, Opposition n°18-1134, 14 septembre 2018) ;
  • La demande de marque , sur le fondement de la marque antérieure CHAMONIX appartenant à la commune de Chamonix Mont Blanc (INPI, Opposition n°18-0641, 30 août 2018).
  • La demande de marque LE LAGUIOLE FRANÇAIS sur le fondement de la marque antérieure LAGUIOLE appartenant à la Commune de Laguiole (INPI, Opposition n°19-4845, 4 mai 2020).

Cela étant, les droits sont encadrés par les limites inhérentes au droit des marques que sont notamment le principe de spécialité, limitant la protection conférée aux seuls produits et services couverts par l’enregistrement, ou encore le risque de voir sa marque partiellement ou totalement déchue en cas d’absence d’exploitation pendant une période ininterrompue de cinq ans.

En outre, les noms des collectivités territoriales se doivent, du fait de leur nature, de rester disponibles à l’utilisation par tous dans leur fonction descriptive d’une origine géographique.

III – La possibilité pour les tiers de déposer le nom d’une collectivité territoriale à titre de marque et les limites devant être respectées à cet effet

Les collectivités territoriales disposent de prérogatives complémentaires mais qui ne sont pas forcément suffisantes pour appréhender l’ensemble des atteintes portées à leurs droits.

En l’absence des deux hypothèses précitées, le nom des collectivités territoriales peut théoriquement faire l’objet de dépôts à titre de marques par des tiers.

Ainsi, de nombreuses marques constituées de noms géographiques sont acceptées à l’enregistrement (MONT BLANC, EVIAN, SAINT MICHEL…) alors même que leur titulaire n’est pas lié à la collectivité territoriale.

En 2018, le Tribunal de l’Union Européenne a considéré que la dénomination DEVIN, correspondant au nom d’une ville bulgare, pouvait être enregistrée pour désigner des boissons (TUE, aff. T122/17, 25 octobre 2018).

Toutefois, en pratique, pour que ce dépôt soit valable, encore faut-il notamment qu’il ne soit pas frauduleux, ou encore de nature à tromper le consommateur quant à l’origine des produits et services désignés.

Ainsi, la jurisprudence a pu considérer qu’une marque constituée du numéro 29, identifiant le département du Finistère, ne portait pas atteinte à la renommée de la collectivité territoriale mais constituait toutefois un dépôt frauduleux dans la mesure où « le droit de marque n’avait pas été constitué et utilisé pour distinguer des produits ou des services en identifiant leur origine, mais se trouvait détourné de sa fonction dans le but de se réserver, par l’appropriation d’un signe identifiant un département, un accès privilégié et monopolistique à un marché local au détriment des autres opérateurs empêchés d’entrer sur le marché » (CA Toulouse, RG n°09/04200, 31 mai 2011).

La Cour d’appel de Paris a également considéré que la marque LA PIZZA DE ST TROPEZ VALAIS était de nature à tromper le public sur la provenance géographique des produits désignés et a ainsi prononcé la nullité de cette marque (CA Paris, 9 février 2000).

Par ailleurs, les collectivités territoriales peuvent naturellement, sur le fondement de la concurrence déloyale et/ou du parasitisme, engager une action contre un tiers qui créerait une confusion ou encore tenterait de bénéficier du rayonnement de la collectivité territoriale et de ses investissements.

Par conséquent, en pratique, il est possible de déposer une marque comprenant le nom d’une collectivité territoriale sous réserve notamment que ce dépôt :

  • Ne porte pas atteinte au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale qui bénéficierait d’une reconnaissance particulière pour les produits ou services visés par le dépôt.
  • Ne porte pas atteinte à d’éventuels droits de marques antérieurs.
  • Ne soit pas frauduleux.
  • Ne présente pas un caractère déceptif, à savoir qu’il ne soit pas de nature à tromper le consommateur quant à l’origine des produits et services désignés.

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