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Vanessa Bouchara
La saga judiciaire LAGUIOLE
Monsieur Gilbert Szajner a déposé à partir de 1993 plusieurs marques comportant le nom LAGUIOLE. Il concédait de nombreuses licences à des entreprises françaises et étrangères sur de nombreux produits différents (linge de maison, meubles, stylos, briquets, etc…)
LE CONTENTIEUX FRANCAIS
La COMMUNE DE LAGUIOLE a engagé une première procédure contre Monsieur Szajner Gilbert et Monsieur Szajner Louis, qui a également déposé plusieurs marques LAGUIOLE à son nom, ce qui avait donné lieu à un premier jugement le 13 septembre 2012 du Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI de Paris, ch. 5, section 2, 13 septembre 2012, n°12/02742).
La Cour d’appel avait débouté le 4 avril 2014 la commune, considérant notamment que « le couteau LAGUIOLE est un nom de couteau entré dans le langage courant sans lien direct avec la demanderesse (la commune) » (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 4 avril 2014, n°2012/20559).
La Cour de cassation, par arrêt du 4 octobre 2016 (Cass. Com., 4 octobre 2016, n°14-22.245), avait considéré que :
- Sur les pratiques commerciales trompeuses
La COMMUNE DE LAGUIOLE soutenait que les défendeurs avaient volontairement créé une confusion entre leurs produits et la ville, en multipliant les références au lieu et à son histoire, ce qui constituait selon elle des pratiques commerciales déloyales et trompeuses au sens des articles L. 120-1 et L. 121-1 du Code de la consommation.
La Cour de cassation a reproché aux juges du fond d’avoir dénaturé les documents de la cause en n’ayant pas retenu le caractère trompeur des pratiques commerciales des défendeurs, et notamment un sondage produit aux débats, ainsi que le site internet du défendeur utilisant le nom LAGUIOLE en faisant expressément référence à « la ville de Laguiole », décrite comme « notre village ».
La Cour de cassation avait adopté une position très ferme.
- Sur le dépôt frauduleux
La COMMUNE DE LAGUIOLE développait un autre argument selon lequel les défendeurs avaient déposé leurs marques en fraude de ses droits. La Cour d’appel avait rejeté cet argument en considérant que la COMMUNE DE LAGUIOLE n’avait pas été en mesure de démontrer un dépôt frauduleux de nature à affecter la validité de ces marques.
La Cour de Cassation avait considéré que la fraude était bien constituée et avait notamment relèvé que la Cour d’appel aurait dû rechercher si le dépôt d’un ensemble de marques comprenant le nom LAGUIOLE, parfois combiné au dessin emblématique d’une abeille, pour désigner de nombreux produits et services sans lien de rattachement avec cette commune, ne s’inscrivait pas dans une stratégie commerciale visant à priver celle-ci ou ses administrés actuels ou potentiels, de l’usage de ce nom nécessaire à leur activité, caractérisant la mauvaise foi des défendeurs et entachant de fraude les dépôts effectués.
Pour la Cour de cassation, cela était d’autant plus vrai que les juges du fond eux-mêmes avaient indiqué que les défendeurs connaissaient l’existence de la COMMUNE DE LAGUIOLE et qu’aucun des produits et services revêtus des marques en cause n’était fabriqué ou fourni sur le territoire de celle-ci.
Les éléments constitutifs de la fraude étaient bien constitués pour la Cour de cassation.
Suite à cette décision, une Cour d’appel de renvoi a été saisie et s’est prononcée le 5 mars 2019 (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 ch. 1, 5 mars 2019 n°17/04510). Elle a en effet retenu l’annulation des marques litigieuses sur le fondement de l’ancien article L.711-4 h) (Règle aujourd’hui consacré à l’article L.711-3 9°), à savoir pour atteinte portée « au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale ».
Cependant, et ce en dépit de la position de la Cour de cassation, la Cour d’appel a rejeté les demandes de la COMMUNE DE LAGUIOLE au titre des pratiques commerciales trompeuses en retenant qu’à la lecture du texte présent sur le site des sociétés défenderesses, nonobstant l’utilisation critiquable du terme « notre village », le consommateur moyen ne croira pas que ceux-ci sont originaires de la ville de LAGUIOLE, celui-ci étant informé de ce que les produits en question étaient fabriqués aussi à l’étranger. En effet, l’auteur du texte précisait bien qu’il « n’y a pas de vrais ou de faux couteaux LAGUIOLE, il n ‘existe que de vrais ou faux fabricants, des couteaux de qualité ou de valeur médiocre, des sites de production français, aussi bien à LAGUIOLE depuis 1981, à Thiers que dans des sites à l’étranger, citons l’Espagne, le Pakistan et la Chine ».
C’est ainsi que s’est conclu le chapitre français de la saga judiciaire de l’affaire Laguiole.
LE CONTENTIEUX EUROPEEN
Le 20 novembre 2001, Monsieur Szajner a procédé au dépôt d’une marque de l’Union Européenne, qui n’a été enregistrée que le 14 février 2005.
La société FORGE DE LAGUIOLE, estimant que cette marque portait atteinte à ses droits (sur sa dénomination sociale), a engagé une action en nullité devant l’EUIPO.
L’EUIPO (Office des marques de l’UE) a donné gain de cause à la société FORGE DE LAGUIOLE et a prononcé l’annulation de la marque pour tous les produits et services visés, à l’exception des services de télécommunication.
Le TUE, confirmé par la CJUE (CJUE, 5 avril 2017, affaire C-598/14, EUIPO/Gilbert Szajner), avait considéré que la marque devait être annulée uniquement pour des couteaux et couverts, puisque la société FORGE DE LAGUIOLE n’avait pas d’activité dans les autres secteurs.
La CJUE a confirmé l’arrêt du Tribunal pour les raisons suivantes :
– Le Tribunal a à bon droit appliqué les règles du droit national français (puisque la dénomination sociale invoquée était une dénomination sociale française).
– Conformément au droit français, la protection au titre de la dénomination sociale ne vaut que pour les activités effectivement exercées par l’entreprise.
– Le Tribunal a donc parfaitement respecté les textes applicables en limitant l’annulation à ce qui relève de l’activité de FORGE DE LAGUIOLE, à savoir les couteaux et couverts.
La décision de la CJUE est également définitive et l’affaire est désormais clôturée.
LES EVOLUTIONS
Cela n’empêche pas Monsieur Szajner, directement ou par l’intermédiaire d’autres membres de sa famille (Mme NAKAZAWA SZAJNER Etsuko, Louis SZAJNER) de continuer à déposer des marques, que ce soit auprès de l’INPI ou de l’EUIPO, et qui sont pour certaines toujours en vigueur.
Le dernier dépôt français remonte au 14 octobre 2016, , lequel a été entièrement refusé à l’enregistrement par l’INPI suite à l’opposition formée par la commune de LAGUIOLE le 4 janvier 2017, qui a été reconnue comme justifiée par une décision de l’INPI du 4 juillet 2017 (INPI, 4 juillet 2017, Opp. n°17-86 / NG).
La décision de la CJUE est parfaitement fondée juridiquement et il est tout à fait légitime que la Cour ait considéré que le TUE avait correctement appliqué la règle de droit.
Quant à la Cour de cassation, sa décision va sans doute permettre aux communes de s’opposer plus facilement à des tiers reprenant le nom de leur commune en tant que marque. D’ailleurs, la loi du 17 mars 2014 (n° 2014-344) confère aux collectivités territoriales de nouvelles prérogatives, leur permettant de protéger le nom de leur commune. Ainsi, ces dernières peuvent être alertées par l’INPI lorsqu’un tiers dépose une marque contenant le nom de la commune et leur offre même la possibilité de former opposition (Article L.712-2-1 et L.712-4 du Code de la Propriété Intellectuelle).
Le ministère de l’artisanat étudiait en 2017 la possibilté d’une IGP Indication géographique protégée réunissant les couteliers de Thiers (Puy de Dôme) et de LAGUIOLE (Aveyron), mais celle-ci ne semble pas avoir été accordée.
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