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Vanessa Bouchara
L’effet du temps sur les marques
La fonction d’une marque est de garantir au consommateur l’origine d’un produit ou d’un service qu’elle désigne, et ce pendant une durée de dix ans renouvelable selon l’article L.712-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Cependant, cette durée n’est pas intangible et a été limitée par le législateur afin de ne pas octroyer au titulaire d’une marque un monopole trop long sur un signe dans des catégories de produits et services qu’il n’exploiterait pas.
Le titulaire d’une marque dispose ainsi d’un délai de cinq ans, à compter de la date de l’enregistrement de la marque, pour commencer à l’exploiter. Si la marque n’est pas exploitée à l’expiration du délai de cinq ans, elle pourra être annulée en raison de l’absence d’usage sérieux selon les dispositions de l’article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle. C’est la « déchéance de marque pour non-usage ».
Le titulaire d’une marque risque donc de perdre le droit d’usage exclusif qu’il dispose sur un signe.
Ainsi, dans une décision récente, l’Office des marques de l’Union européenne (EUIPO) a par exemple annulé la marque « Big Mac », pourtant enregistrée depuis l’année 1998, en décidant que son titulaire, la société McDonald’s, n’en avait pas fait un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans pour les produits et services enregistrés (Article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle).
Dans cette affaire, McDonald’s avait pourtant transmis plusieurs preuves d’usage à l’EUIPO, mais elles n’ont pas été jugées suffisamment sérieuses pour prouver l’usage du signe « Big Mac » en tant que marque.
Ainsi, si les conditions légales de la déchéance peuvent paraitre claires, elles doivent tout de même être appréhendées au regard de l’interprétation qu’en font les juges.
Le délai de grâce
Selon l’article L.714-5 précité, la déchéance prend effet cinq ans après la date d’enregistrement d’une marque, ou cinq ans après le dernier acte d’exploitation de son titulaire.
Cette période est considérée par la jurisprudence de la CJUE comme un « délai de grâce » qui permet au titulaire d’une marque de commencer son exploitation (CJUE, 21 décembre 2016 – Länsförsäkringar AB c. Matek A/S).
Il est important de noter que l’usage sérieux d’une marque commencé ou repris dans les trois mois précédant la demande en déchéance et après que son titulaire ait eu connaissance de l’éventualité de cette demande, ne fait pas obstacle à la déchéance.
La jurisprudence est également venue insister sur le fait que l’usage sérieux d’une marque devait être démontré au cours du délai de grâce, insistant ainsi sur le fait qu’il s’agissait de conditions cumulatives, en rejetant des preuves d’usages produites par le titulaire d’une marque soumise à déchéance, hors de cette période de grâce (CA Paris, Pole 5 ch.2, 14 juin 2019 n°17/21171).
L’exploitation de la marque dans le délai de cinq ans est donc impérative pour éviter qu’elle soit déchue.
L’usage sérieux
L’usage permettant de valider l’exploitation d’une marque doit être « sérieux » ce qui signifie public et réel.
Cet usage ne doit en effet pas être effectué uniquement dans le but de maintenir ses droits de marque, mais doit permettre de garantir au consommateur l’identité d’origine d’un produit ou d’un service (fonction de la marque).
La jurisprudence est ainsi venue réaffirmer ce principe en retenant notamment que, pour être considéré comme sérieux :
« l’usage du signe doit être fait, conformément à sa fonction essentielle, à titre de marque pour identifier ou promouvoir dans la vie des affaires aux yeux du public pertinent les produits et services visés au dépôt et opposés aux défenderesses : il doit être tourné vers l’extérieur et public et non à interne à l’entreprise ou au groupe auquel elle appartient.
Le caractère sérieux de l’usage, qui à la différence du défaut d’exploitation n’a pas à être ininterrompu, implique qu’il permette de créer ou de maintenir des parts de marché du titulaire de la marque pour les produits et services concernés au regard du secteur économique en cause et qu’il ne soit ni sporadique ni symbolique car destiné au seul maintien des droits sur la marque. » (TGI Paris, 3e chambre 2e section, 2 juin 2017 n° 16/01939).
Il existe cependant plusieurs nuances concernant la qualification d’« usage sérieux » selon la jurisprudence.
- L’usage d’une marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif
Tout d’abord, l’emploi d’un signe sous une forme modifiée qui n’en altère pas le caractère distinctif, ne constitue pas un défaut d’usage sérieux selon le paragraphe 3 de l’article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle.
La Cour d’appel a notamment accepté que l’usage modifié de la marque « QUINTE + » puisse servir de preuve d’une de la marque exploitation durant la période de grâce, évitant ainsi au « PMU » la déchéance de sa marque (CA Paris, pole 5 ch.2, 7 juin 2019 n°17/17646) .
Elle a également accepté l’usage de la marque « LOFT » associée aux termes « ENDUIT, BETON BRUT, PRIMAIRE, BETON CIRE, ORIGINAL, PROTECTEUR » en affirmant que ces termes du « langage courant » visaient seulement à informer le consommateur sur la finalité des produits de la gamme déclinée de la marque « LOFT » (TGI Bordeaux, 14 mai 2019 n° 15/08879) .
La Cour d’appel a aussi retenu qu’un titulaire pouvait se prévaloir de l’usage d’un signe dans des ensembles complexes qui seraient eux-mêmes déposés à titre de marque dès lors que la modification formelle n’en altère pas le caractère distinctif (voir article – l’exploitation d’une marque sous une forme modifiée). La Cour a ainsi accepté l’usage du signe « Juvederm » associé à d’autres signes comme « ultra », « voluma », « volift » ou « hydrate », faisant ainsi obstacle à la déchéance de la marque « Juvederm » (CA Versailles, 1ère ch. 1ère section, 29 septembre 2020 n°19/01666)
- Le nombre d’usage sérieux
L’usage sérieux d’une marque ne doit pas forcément être apprécié en fonction des quantités, car cela peut dépendre des caractéristiques du produit ou service concerné.
En effet, l’usage sérieux de la marque ne doit pas être apprécié quantitativement mais qualitativement.
La Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’usage de la marque « L’Equipe » pour désigner un évènement sportif constitue un usage sérieux faisant obstacle à la déchéance de la marque, quand bien même cet événement serait arrivé qu’une seule fois (Cass. Com 27 mars 2019 n°17-18.733).
Un usage peu important d’une marque peut être suffisant pour être qualifié « d’usage sérieux » en prenant en compte le secteur économique considéré (Cass. Com 5 juillet 2017 n°13-11513).
La CJUE a ainsi considéré qu’un marché très spécialisé, en l’espèce celui des voitures de sport de luxe, permet de justifier d’un faible usage de la marque (CJUE, 22 octobre 2020 C-270/18 et C-721/18).
- Les justes motifs faisant obstacle à l’usage
Il existe des conditions permettant de légitimer le non-usage d’une marque pendant cinq ans, en raison notamment d’un obstacle qui aurait empêché l’exploitation d’une marque.
La jurisprudence est venue poser les trois conditions suivantes :
- l’obstacle doit présenter une relation directe avec la marque ;
- l’obstacle doit être indépendant de la volonté du titulaire de la marque ;
- l’obstacle doit rendre l’usage de cette marque impossible ou déraisonnable.
Elle a ainsi précisé qu’une action en concurrence déloyale portant sur l’atteinte à une enseigne et au nom commercial n’a pas de relation assez directe avec l’usage d’une marque et ne peut justifier son absence d’usage (CA Paris, Pole 5, ch n°2 – 17 mai 2019 n°18/06796).
Type d’action
Pour les marques françaises, la déchéance peut être exercée par voie d’action ou par voie d’exception, au titre d’une action reconventionnelle lors d’une action en contrefaçon.
Pour les marques de l’Union européenne, la déchéance peut être engagée devant l’EUIPO ou lors d’une action en contrefaçon à titre reconventionnel également. Dans le second cas, le juge devra surseoir à statuer avant de rendre une décision sur la contrefaçon.
Cette action est cependant réservée à la personne qui parviendra à démontrer que les produits ou services pour lesquels elle demande la déchéance font partie de son activité professionnelle.
L’article L.716-3 du Code de la Propriété intellectuelle prévoit la possibilité d’introduire une demande de déchéance devant les tribunaux judiciaires compétent mais également, depuis le 1er avril 2020, devant l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), comme c’est déjà le cas des oppositions. Cette mesure vise à accélérer le temps de traitement des procédures.
Produits et Services concernés
L’action en déchéance étant directement liée à l’exploitation d’une marque, il convient de s’intéresser précisément aux produits et services pour laquelle la marque a été déposée.
En effet, dans le cas où l’action en déchéance ne viserait qu’une partie des produits ou des services pour lesquels la marque est enregistrée, le titulaire pourrait alors être déchu de ses droits uniquement pour les produits ou les services concernés.
Il devra alors apporter des preuves d’usage de sa marque pour chacun des produits et services déposés, afin de démontrer qu’il ne détient pas un monopole injustifié sur le signe qu’il a enregistré.
La Cour d’appel a, par exemple, reconnu que le dépôt d’une marque dite de « barrage » ne constitue pas un juste motif permettant de légitimer la non-exploitation d’une marque.
En l’espèce, la société Mont Blanc, célèbre pour ses crèmes desserts, avait également déposé la marque du même nom pour désigner des boissons alcoolisées. La société Mont Blanc n’a toutefois jamais commercialisé de boissons alcoolisées sous la marque Mont Blanc car celle-ci a été uniquement déposée dans l’intention d’empêcher la commercialisation de ces produits sous la même dénomination.
En effet, la société Mont Blanc craignait que la commercialisation de boissons alcoolisées nuise à son image. Cependant, ce motif n’étant pas valable, la Cour d’appel a donc prononcé la déchéance partielle de la marque Mont Blanc en ce qu’elle désignait des boissons alcoolisées (CA Rennes, ch. n°3, 6 octobre 2020 n°16/05278).
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