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Action en revendication en cas de dépôt frauduleux
En droit français, il existe un principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout (« Fraus omnia corrumpit »).
L’article L.712-6 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit en matière de marques que :
« Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.
A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement. »
La fraude qui permet au véritable titulaire de se voir attribuer la marque indûment déposée, se définit ainsi comme étant le fait de déposer un signe, sous une apparence régulière, mais en ayant connaissance de l’existence de l’usage d’un signe distinctif similaire antérieur et dans la seule intention de nuire à un acteur du marché, par exemple, en l’empêchant d’exploiter et de diffuser ses produits en France.
La jurisprudence français, reprenant celle de l’Union européenne, est venue préciser qu’en matière de dépôts frauduleux, la mauvaise foi du titulaire de la marque :
« […] doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement et notamment le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ainsi que le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé. » ( voir notamment les affaires suivantes: Cour d’appel de Paris, 7 octobre 2016, n°16-02.229 ; faisant référence à l’arrêt de la CJCE, 11 juin 2009, Aff. C-529/07, point 39).
Ainsi, la Cour d’appel de Paris a pu considérer que le dépôt à titre de marque d’un signe exploité depuis longtemps par une entrepriseintervenant dans le milieu du textile pour désigner une gamme de jeans était frauduleux dès lors notamment que :
- Au vu des circonstances d’ensemble entourant le dépôt litigieux, le déposant ne pouvait ignorer l’usage du signe litigieux par le demandeur ;
- Le déposant n’avait jamais exploité le signe litigieux à titre de marque et s’était contenté de réserver un nom de domaine ;
- La logique commerciale du dépôt de marque litigieux était elle-même obscure en raison de l’absence de preuve propre à établir une activité du déposant dans le secteur de l’habillement ;
- Le déposant avait procédé à une multitude d’autres dépôts analogues injustifiés.
Dans une affaire récente, concernant un pseudonyme, Kanye West a eu gain de cause dans le cadre d’une action en revendication engagée contre une personne ayant déposé le signe YEEZY pour des produits pharmaceutiques en classe 5, des véhicules de tout type en classe 12, et des bières et boissons sans alcool en classe 32.
Le Tribunal Judiciaire, par un jugement non définitif du 8 février 2022 (Tribunal Judiciaire, 8 février 2022, n°21-09.242), a jugé que :
« M. West, dont l’extrême célébrité est notoire, justifie qu’il se désigne lui-même, se fait désigner et est couramment désigné par le public sous le surnom de « Yeezy » qui, sans être le seul de ses surnoms, bénéfice d’une grande renommée et fait l’objet d’une utilisation intensive, dans des opérations commerciales particulièrement importantes comme sa collaboration avec Adidas, dans des actions politiques comme l’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle des États-Unis (« Yeezy for president »), ce qui a été relayé par la presse française, ou d’une façon détournée dans le titre d’un de ses albums en 2015, « Yeezus », jeu de mot avec la prononciation anglaise de « Jesus ».
Des marques européennes « Yeezy » sont ainsi déposées dans de très nombreuses classes de produits ou services, et exploitées par la société Mascotte Holdings.
En l’espèce, il découle d’un faisceau d’indices qu’il ne fait aucun doute que Monsieur H. ne pouvait ignorer, au moment du dépôt de la marque française YEEZY n°(20)4648404, l’existence, le rôle et la notoriété du signe YEEZY dans tous domaines d’activité confondus, et plus particulièrement les projets de développement à venir de Monsieur WEST.
Si la marque de M. Harbaoui a été déposée dans d’autres classes de produits que celles des marques de M. West [ce dernier] est connu pour développer ses activités dans un nombre croissant de domaines, et qu’il est notamment connu pour un intérêt envers les véhicules. Les boissons sont en outre notoirement utilisées en tant que produits dérivés et sont donc un domaine d’extension prévisible de l’activité d’un professionnel du divertissement célèbre dans le monde entier.
Or, le dépôt de marque de M. Harbaoui ne correspond pour sa part à aucune logique économique : il a été fait par une personne inscrite au répertoire des métiers dans le domaine de la construction aéronautique et spatiale, pour des produits sans rapport avec cette activité et au demeurant sans rapport entre eux, et n’a été suivi d’aucune exploitation.
Avant ce dépôt, M. Harbaoui avait déjà déposé 16 marques portant manifestement atteinte à des intérêts de tiers, sans aucune autre intention que de profiter de leur renommée voire de créer une entrave à leurs activités : ainsi de 9 marques « Google » ou « Google car », 4 marques « Adidas », une marque détournant l’acronyme du club de football PSG en « Paris sporting group (PSG) », et 2 marques « Universal ». Enfin, le dépôt a eu lieu peu de temps après l’annonce de ce que M. West était devenu milliardaire, ce dont M. Harbaoui, dont rien ne permet autrement d’expliquer le choix du terme « Yeezy », avait manifestement connaissance.
Il s’ensuit que c’est pour gêner sciemment l’extension prévisible de l’activité des demandeurs que M. Harbaoui a déposé la marquelitigieuse. Elle doit, par conséquent, être rétrocédée à M. West. »
Ainsi, un dépôt de marque peut être considéré comme frauduleux et ce quand même bien les produit(s) et/ou service(s) désignés ne seraient pas similaires avec ceux exploités sous la marque postérieure déposée de mauvaise foi par un tiers – étant précisé qu’en pareil cas, la notoriété du signe repris joue un rôle important dans la caractérisation de la mauvaise foi.
Point sur les dépôts frauduleux en Chine
La Chine est un pays dans lequel sont déposées un très grand nombre de marques frauduleuses, au nom de personnes physiques ou de sociétés difficilement identifiables.
La pratique des dépôts frauduleux ne cesse de croître sur ce territoire. Les autorités chinoises, conscientes de ce fléau, sont d’ailleurs de plus en plus attentives à ces agissements et font évoluer les règles applicables en la matière.
La loi chinoise en matière de marques a ainsi récemment été modifiée et prévoit désormais spécifiquement qu’une demande de marque déposée de mauvaise foi doit être rejetée. Ces dispositions sont entrées en vigueur à compter du 1er novembre 2019.
Point sur la prescription de l’action en revendication
L’article L.712-6 aliéna 2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que l’action en revendication de propriété sur la marque se prescrit par 5 ans, à moins que le déposant soit de mauvaise foi.
En pareil cas, une telle action ne sera pas soumise à la prescription extinctive, sous réserve pour le demandeur à l’action de démontrer la mauvaise foi du tiers.
Point sur l’action en déchéance
Contrairement à la pratique de certains Offices de propriété intellectuelle, par exemple l’INPI en France et l’EUIPO au niveau de l’Union européenne, certains Offices vérifient la disponibilité du signe au stade de son dépôt.
C’est le cas notamment de la Chine. L’Office chinois peut alors être amené à émettre un refus d’enregistrement d’une demande de marque fondé sur l’existence d’une marque antérieure identique ou similaire déposée ou enregistrée sur ce territoire.
Or, si le signe cité s’apparente à un dépôt frauduleux, il peut être opportun d’engager une action en nullité ou en déchéance à l’encontre de cette marque afin d’obtenir son annulation et ainsi surmonter le refus prononcé par l’Office – étant précisé que le délai pour introduire une action en déchéance en Chine est de 3 années à compter de l’enregistrement de la marque litigieuse.
Le succès de la procédure dépendra alors des éléments de preuve dont dispose le demandeur à l’action pour caractériser les ressemblances entre les signes et les produit(s) et/ou service(s), ainsi que la mauvaise foi du titulaire de la marque litigieuse.
Point jurisprudence
Dans une affaire opposant une société spécialisée notamment dans la fabrication et la vente de pains d’épice à son ancien salarié, la Cour d’appel de Rennes a considéré, par un arrêt du 10 décembre 2013, que le caractère frauduleux du dépôt de la marque « Secrets Délices » effectué par ledit salarié 4 mois après son embauche était établi.
La Cour d’appel retient « qu’il résulte de l’attestation [de la société] que dès le 26 juin 2006 des offres de prix pour des étiquettes de la gamme Secrets Délices ont été adressées à la société ETABLISSEMENTS LA MESSUZIERE. [Le salarié], commercial, a collaboré à la conception de ces étiquettes. Il avait connaissance du développement en cours par son employeur de cette appellation. Il ne rapporte pas la preuve de ce qu’il a créé cette marque.
Il apparaît ainsi qu’il avait connaissance de ce développement et que les premières commercialisations des produits SECRETS DELICES dans les moyennes et grandes surfaces ont été faites de mai à juillet 2006 […], puis que des devis ont été sollicités aux fins de nouvel étiquetage, […] et tout cela avant le dépôt par M. SAINDRENAN de la marque.
Le flux commercial relevé par les premiers juges est également corroboré par une pièce produite par l’appelante (sa pièce 11) qui établit qu’une opération commerciale a été mise en place à compter du 29 mai 2006 dans un magasin Leclerc.
La connaissance par [le salarié] des droits antérieurs et du début d’utilisation du nom de SECRETS DELICES au moment où il en a déposé la marque dans le but avéré d’atteindre aux droits de son employeur signent sa mauvaise foi, précision apportée que la condamnation [du salarié] pour une affaire d’escroquerie, totalement étrangère au présent litige ou l’existence de la procédure prud’homale en cours, ne présente en l’espèce pas d’intérêt.
Il convient en outre de relever qu’ayant déposé sa marque, [le salarié] ne justifie d’aucune utilisation de celle-ci pour quelques produits que ce soient d’ailleurs. » (Cour d’appel de Rennes, 10 décembre 2013, n°2012-03.583).
Le Cabinet Bouchara vous accompagne notamment dans :
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- La détermination du caractère frauduleux des dépôts ;
- L’action en revendication des dépôts frauduleux ;
- Les éventuelles négociations avec le déposant.