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L’exploitation sous une forme modifiée

Vanessa Bouchara

Mise à jour le 16 janvier 2022

L’exploitation sous une forme modifiée : de l’intérêt de posséder une « famille de marques »

Les titulaires de marques ont souvent tendance à multiplier les dépôts de marques et se sentent ainsi mieux protégés. Ils déposent toutes les variantes possibles et inimaginables du vocable ou de l’image phare de la société dans laquelle ils ont tant investi.

Bien que cela semble rassurant à première vue, ce n’est pas sans risque puisque les déclinaisons qui ne sont plus utilisées risquent d’être annulées par les Tribunaux si elles ne sont pas utilisées telles que déposées.

L’article L. 714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit en effet que :

« Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. »

La notion d’usage sérieux peut se faire par « l’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ».

En conséquence, l’utilisation d’un signe légèrement différent de la marque arguée de nullité devrait pouvoir servir à établir un usage sérieux.

En cas de dépôts multiples, le point de savoir si, en présence de plusieurs dépôts présentant des différences minimes, l’exploitation d’une seule des déclinaisons déposées permet d’éviter la sanction de la déchéance sur les autres marques est extrêmement important pour les titulaires de marques. Sur ce point, la jurisprudence a été fluctuante et incertaine, pour finalement s’aligner avec la jurisprudence de l’Union européenne.

Tout d’abord, en 1992, la Cour de cassation, en assemblée plénière, avait considéré, dans une affaire BEGHIN SAY que :

« L’exploitation d’une marque enregistrée, analogue à une autre marque enregistrée, ne vaut pas exploitation de cette dernière et l’article 5 C 2 de la Convention d’Union de Paris ne trouve application que si une seule marque est en cause » (Cass. Assemblée plénière, 16 juillet 1992, 89-16.589).

Cependant, les juges du fond dans les années suivant l’arrêt de la Cour de cassation de 1992 étaient très réticents à l’idée de s’y aligner et continuaient d’estimer qu’en cas de dépôts multiples, la marque qui était exploitée devait permettre à ses variantes d’échapper à la déchéance.

Ainsi, dans un célèbre arrêt LANCOME rendu par la Cour d’Appel de Paris, il a été considéré que :

« le titulaire de deux marques qui n’exploite que la seconde en date [POÊME] doit pouvoir échapper à la déchéance de ses droits sur son premier dépôt [POEME], si les différences entre l’une et l’autre sont minimes et n’altèrent pas le caractère distinctif, essentiel du premier signe » (Cour d’appel de Paris, 4e ch., 21 janvier 2000, PIBD 2000 697 III-234).

La seule différence tenant à la présence d’un accent circonflexe sur le E, la Cour a retenu que l’exploitation de l’une valait exploitation de l’autre.

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en rendant trois arrêts de principe du 14 mars 2006 dans des affaires PLAYBOY (Cass. Com., 14 mars 2006, n°03-20.198), SMILEY (Cass. Com., 14 mars 2006, n°03-18.732) et LA CENTRALE DES PARTICULIERS (Cass. Com., 14 mars 2006, n°04-10.971).

Dans ces trois arrêts, la Cour de cassation avait considéré que les variantes devaient échapper à la déchéance, puisqu’il s’agissait bien de l’usage d’une marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif.

La Cour de Cassation s’est montrée plutôt pro-titulaires de marques puisqu’elle permettait ainsi aux titulaires desdites marques d’échapper à la déchéance sur leur « famille de marques » à la condition qu’une seule des marques de cette famille soit exploitée.

Or, c’est sous l’impact des décisions communautaires, notamment l’affaire Il Ponte Finanziara SpA c/ OHMI, TPICE, du 23 février 2006 (CJCE, 13 septembre 2007, affaire Il Ponte Finanziara SpA c/ OHMI, C-234/06 P), qui ont conclu dans un sens contraire, que les Tribunaux français semblent de nouveau changer de position.

En effet, la Cour d’Appel de Paris, dans deux arrêts en date du 30 mai 2012 (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1ère Ch., 30 mai 2012, n°10/16409) et du 1er mars 2013 (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1 mars 2013, n°2012/00035), a retenu qu’en déposant plusieurs marques, les défendeurs à la nullité pour déchéance ont entendu distinguer leurs marques entre-elles et qu’il leur appartenait de prouver un usage sérieux pour chacune d’elle, et ce malgré leur forte ressemblance.

Néanmoins, la Cour de cassation a maintenu sa position, puisqu’elle a cassé la décision de la Cour d’appel du 1 mars 2013 par un arrêt du 3 juin 2013 (Cass. Com., 3 juin 2014, n°13-17.769) en précisant que l’ancien règlement (CE) n°207/2009 du 26 février 2009 (Aujourd’hui remplacé par le Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017) sur la marque communautaire n’exigeait « seulement que la marque exploitée ne diffère des marques enregistrées que par des éléments n’en altérant pas le caractère distinctif, peu important que la marque modifiée ait été elle-même enregistrée » (la décision de la Cour d’appel de Paris n’ayant été maintenu qu’en raison de l’insuffisance des preuves d’usage apportées par les titulaires pour alléguer un usage sérieux, voir Cass. Com., 24 septembre 2013, n°12-22.966). Ainsi, la Cour de cassation semblait maintenir la possibilité d’éviter la déchéance d’une marque appartenant à un ensemble de marques d’une même famille dès lors que les marques ne diffèrent entre elles que par des éléments qui n’altèrent pas leur caractère distinctif.

Cette décision n’est cependant pas étonnante à la lecture de l’affaire Rintisch c/ Klaus Eder du 25 octobre 2012 (CJUE, 25 octobre 2012, affaire Rintisch c/ Klaus Eder, C‑553/11) rendue par la Cour de justice de l’Union européenne, dans laquelle cette dernière a estimé que « que l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que le titulaire d’une marque enregistrée puisse, aux fins d’établir l’usage de celle-ci au sens de cette disposition, se prévaloir de son utilisation dans une forme qui diffère de celle sous laquelle cette marque a été enregistrée sans que les différences entre ces deux formes altèrent le caractère distinctif de cette marque, et ce nonobstant le fait que cette forme différente est elle-même enregistrée en tant que marque. »

En effet, dans cette décision, la CJUE distingue l’affaire Rintisch de l’affaire Il Ponte Finanziara SpA c/ OHMI en soulignant le fait que celle-ci concernait une « famille » ou « série » de marques, et que pour établir l’existence d’une telle famille, il fallait démontrer « l’usage d’un nombre suffisant de marques susceptible de constituer cette « famille» ou cette «série» ».

Cette décision a été transposée par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 janvier 2016 (Cass. Com., 19 janvier 2016, 14-18.434).

Par conséquent, depuis les affaires Rintisch et Il Ponte Finanziara, il n’est désormais plus possible de se prévaloir de l’usage d’une seule marque pour sauver toute une famille de marques similaires de la déchéance, mais un titulaire peut tout de même se prévaloir de l’usage d’une marque, même enregistrée, pour sauver une autre marque de la déchéance dès lors qu’il ne s’agit pas d’une marque simplement « défensive », c.à.d. une marque « dont l’enregistrement n’a d’autre fin que de garantir ou d’élargir le champ de la protection d’une autre marque enregistrée, qui l’est dans la forme sous laquelle elle est utilisée » (CJUE, 25 octobre 2012, affaire Rintisch c/ Klaus Eder, C‑553/11).

Dans ces conditions, les titulaires de marques devront faire particulièrement attention à l’usage qu’ils comptent faire des signes qu’ils déposent et revoir leur stratégie de protection de leurs marques en conséquence. Déposer des « familles » de marques simplement pour se garantir un large champ de protection n’aura qu’une utilité temporaire puisque celles-ci seront très probablement annulées au-delà de 5 ans si aucun usage sérieux n’en découle.

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