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Vanessa Bouchara
L’utilisation du produit d’un tiers dans une publicité : l’appréciation du caractère accessoire par les Tribunaux.
Il arrive fréquemment que les annonceurs utilisent dans leurs publicités des produits de sociétés tierces qui sont des créations protégées au titre des droits d’auteurs, et ne sollicitent pas les autorisations nécessaires. L’article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose en effet que “toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite (…)”.
Les droits exclusifs de l’auteur sur son œuvre ont toutefois été limités par la jurisprudence à travers la théorie de l’accessoire permettant de distinguer ce qui entre dans le champ de protection de l’œuvre (qui reste interdit sans autorisation préalable de l’auteur ou ses ayants-droits), et ce qui s’en abstrait (qui est donc autorisé à défaut d’accord préalable du titulaire de l’œuvre protégée).
Les œuvres protégées dans l’espace public
Cette théorie prétorienne a été initialement consacrée en matière d’œuvres présentes sur la voie publique.
La Cour d’appel de Paris, suivie par la Cour de cassation, a ainsi écarté la contrefaçon dans un litige impliquant la société des Automobiles Peugeot qui, pour sa campagne publicitaire, avait pris une photographie d’un de ses modèles de voiture dans un lieu public situé à la Défense, et sur laquelle apparaissait une partie d’une fontaine (œuvre protégée par le droit d’auteur) sans autorisation préalable du titulaire des droits.
Les juges retiennent que les éléments figurant sur les affiches publicitaires litigieuses ne communiquent pas au public les traits caractéristiques originaux de la fontaine, de sorte qu’une reproduction même partielle de l’œuvre ne pouvait être caractérisée (CA Paris, 30 mai 1985 ; Cass. 1re civ., 16 juill. 1987, n°85-15.128).
La jurisprudence considère que lorsque le sujet qui confère à l’œuvre son caractère attractif principal n’est pas l’œuvre arguée de contrefaçon, sa reproduction et sa représentation ne sont pas soumises au monopole de l’auteur sur son œuvre.
En effet, « la représentation d’une œuvre située dans un lieu public n’est licite que lorsqu’elle est accessoire par rapport au sujet principal représenté ou traité » (Cass. 1re civ., 4 juillet 1995, n°93-10.555).
En ce sens, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt de 2005, relève, à bon droit selon la Cour de cassation, que la reproduction de l’aménagement d’une place publique sur des cartes postales n’est pas constitutive de contrefaçon dès lors que cet aménagement, qui se fond dans l’ensemble architectural de la place publique, est accessoire au sujet traité par les auteurs des cartes postales, lequel réside dans la représentation d’une place (Cass. 1re civ., 15 mars 2005 n°03.14.820).
Cela permet notamment d’éviter qu’un auteur puisse invoquer de manière abusive ses droits exclusifs sur son œuvre alors même qu’elle se trouve par hasard sur la voie publique et qu’elle n’est pas le sujet principal exploité par le tiers.
Cette jurisprudence aurait pu être affaiblie à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2006 (Loi n° 2006-961 du 1 août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information) transposant partiellement la directive européenne du 22 mai 2001 (Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information).
En effet, le législateur n’a pas transposé les exceptions prévues aux articles 5.3 h) et 5.3 i) de la directive qui écartent le monopole de l’auteur « lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’œuvres, telles que des réalisations architecturales ou des sculptures, réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics », ou « lorsqu’il s’agit de l’inclusion fortuite d’une œuvre ou d’un autre objet protégé dans un autre produit ».
S’agissant de la reproduction d’œuvre présente sur la voie publique, le législateur s’est aligné sur la jurisprudence avec la loi « Pour une République du numérique » de 2016 (Loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 et Loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016), qui a introduit une exception de panorama en droit français, équivalente à celle prévue par la directive européenne de 2001.
L’article L.122-5, 11° au Code de la propriété intellectuelle tel que modifié par l’article 39 de cette loi dispose que: « les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial » sont autorisées.
Les œuvres protégées dans l’espace privé
Le critère de l’inclusion fortuite, deuxième exception prévue par la directive de 2001, n’a pas été repris par le législateur.
Cette omission n’a toutefois pas empêché les juridictions françaises de l’appliquer pour caractériser la contrefaçon, ou au contraire l’écarter si la représentation de l’objet protégé par les droits d’auteur est seulement accessoire.
En effet, en 2011, la Cour de cassation s’est fondée sur les travaux préparatoires à la transposition de la directive, lesquels prévoyaient l’exception précitée, pour établir que « dès lors qu’elle est accessoire au sujet traité, la présentation d’une œuvre dans un film doit être regardée comme l’inclusion fortuite de cette œuvre, constitutive d’une limitation au monopole d’auteur » (Cass, 1ere civ, 12 mai 2011, 08-20.651, Publié au bulletin).
Si cette jurisprudence est discutable quant à son fondement, il n’en demeure pas moins que l’esprit de la directive a été préservé.
La Cour d’appel a pu qualifier de contrefaçon des photographies qui reproduisaient en gros plan, sur toute une partie du cliché, un lampadaire protégé par le droit d’auteur, dès lors que sa présence participant à « l’identité visuelle de l’hôtel », et ne pouvait être considérée comme “l’inclusion fortuite” d’une œuvre (CA Paris, Pôle 5 – chambre 2, 2 décembre 2011, n° 10/15306).
L’utilisation de l’expression “inclusion fortuite” atteste bien de la volonté du juge de faire référence à l’exception figurant à l’article 5-3 (i) de la directive du 22 mai 2001 (Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information), bien que celle-ci n’ait pas été transposée en droit français.
Dans une autre affaire, la Cour d’appel a écarté le caractère accessoire de l’utilisation d’un chemin de table, car les éléments caractéristiques de l’œuvre, lui conférant un caractère original, étaient “immédiatement décelables et discernables” en raison notamment de sa visibilité “en séquence d’attaque” ainsi que sa “place déterminante” dans la publicité (CA Paris, Pôle 5 – chambre 1, 7 avril 2010, n°09/03186).
La contrefaçon de bracelets repris dans une publicité pour un duty free a également été retenue au motif que « si l’oeil du spectateur se porte sur le sac porté par le mannequin ou posé à ses pieds, il est amené à s’arrêter surtout sur les vêtements, parures et bijoux que le consommateur peut envisager avoir été acquis dans lesdites boutiques et contenus dans les sacs ».
La Cour d’appel a ainsi estimé que la présence des deux modèles de bracelets, présentés de manière très visible « participait à l’axe d’attraction de la publicité orientée vers les boutiques duty free » (CA Paris, Pôle 5, 2ème chambre, 10 février 2012, n°10/21952).
La reprise d’une œuvre protégée par le droit d’auteur est donc susceptible d’être qualifiée de contrefaçon dès lors que l’œuvre figure de manière très visible dans la publicité et fait rejaillir indirectement l’intérêt de l’observateur sur les produits objets de la publicité (CA Paris, Pôle 5, chambre 1, 23 mars 2011, n°09/01831, ).
Ainsi, la reproduction dans une publicité d’un fauteuil Le Corbusier, célèbre architecte et décorateur, a été qualifiée de contrefaçon par la Cour d’appel de Paris car l’œuvre figurait “en gros plan centré” de la campagne publicitaire, “immédiatement identifiable”, et qu’elle “constituait un élément attractif du visuel” (CA Paris, Pôle 5, chambre 1, 13 mars 2013, n°11/13375).
Dans une affaire opposant la société Louis Vuitton Malletier à la société H&M, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande du Malletier, en qualifiant la reprise d’un de ses modèles de chaussures dans une campagne publicitaire d’H&M de contrefaçon, dès lors qu’elles étaient destinées à mettre en valeur la robe objet de la publicité (Cass, com, 6 mai 2014, n°11-22.108).
La théorie de l’accessoire étant une exception prétorienne, est loin d’être appliquée de manière identique et systématique.
L’appréciation de la contrefaçon sur le critère de l’inclusion fortuite est subtile et se fait au cas par cas pour chaque photographie ou film, ce qui nécessite une analyse spécifique de la place qu’occupe l’objet protégé par les droits d’auteur au sein de la publicité.
De ce fait, cette exception prétorienne doit être interprétée avec la plus grande prudence.
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