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Vanessa Bouchara
Peut-on protéger de manière efficace l’agencement intérieur d’un point de vente ?
Les litiges liés aux reproductions ou aux imitations de l’habillage, de l’agencement ou de la décoration d’un magasin se multiplient.
Le « trade dress » (terme anglais qui regroupe le choix du mobilier, des lumières, de l’agencement) d’un magasin nécessite des recherches et des investissements importants, et est devenu un signe distinctif à part entière qui permet aux points de vente des enseignes de se distinguer les uns des autres.
Par quels moyens protéger l’agencement d’un magasin et sanctionner l’imitation de cet agencement par des tiers ?
Il n’existe pas en droit français de protection spécifique aux agencements de magasin, contrairement à d’autres droits étrangers (protection du « trade dress » en droit américain ou l’action du « passing- off » en droit anglo-saxon).
Différents fondements juridiques sont cependant susceptibles d’être invoqués pour la protection des aménagements des magasins.
- Une protection peu efficace par le droit des marques
Une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne a apporté des précisions très intéressantes sur la protection de l’agencement des magasins par le droit des marques. L’affaire portait sur une marque tridimensionnelle consistant en la représentation, par un dessin multicolore, des magasins porte-drapeaux (« flagship stores ») de l’enseigne APPLE (CJUE, 10 juillet 2014, C-421/13, Apple Inc. c/ Deutsches Patent – und Markenamt).
La Cour a considéré que des signes tridimensionnels portant sur l’agencement intérieur d’un point de vente peuvent constituer des marques comme les autres, pour autant qu’ils en remplissent les conditions de protection.
Pour pouvoir prétendre à la protection du droit des marques, un signe doit notamment être susceptible de représentation graphique et être propre à distinguer les produits ou les services qu’il désigne de ceux d’autres entreprises.
Si la première condition peut être aisément respectée, la condition de distinctivité de la marque lorsqu’elle porte sur l’agencement d’un magasin est plus difficile à satisfaire.
La jurisprudence française est en effet souvent réticente à octroyer la protection par le droit des marques à de tels éléments.
Dans un arrêt remarqué, la Cour d’appel de Limoges a retenu « qu’une marque, ne peut, sous peine de détourner le droit de sa finalité, protéger ce qui n’est autre que l’agencement et la décoration intérieure d’un magasin ». En l’espèce, le requérant alléguait la contrefaçon de deux marques tridimensionnelles représentant un agencement de bar de style « pub anglais ». La forme déposée a été considérée comme étant descriptive des services concernés. Une telle solution était notamment justifiée par l’aspect fonctionnel des éléments qui apparaissaient dans la marque (chaises, tables…) (CA Limoges, 25 avril 2002).
Ainsi, la marque déposée ne doit pas être descriptive, et ne peut donc pas être déposée pour des services qui sont inhérents à la mise en vente de produits. Ainsi, l’intérêt d’un enregistrement en tant que marque en est d’autant plus amoindri.
La protection contre l’imitation de l’agencement d’un magasin est donc théoriquement possible sur le fondement du droit des marques, cependant en pratique, l’aménagement déposé en tant que marque devra diverger de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur concerné.
De plus, la marque sera protégée pour certaines classes seulement, et le droit des marques ne pourra donc pas venir sanctionner l’imitation du « trade dress » par une société qui ne proposera pas les mêmes services.
- Une reconnaissance peu fréquente de la protection par le droit des dessins et modèles
Les concepteurs d’agencements de magasins recherchent d’autres fondements de protection que le droit des marques et invoquent notamment le droit des dessins et modèles. L’article L. 511-1 du CPI énonce que peut être protégée à titre de dessin et modèle l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit.
Pour une grande partie de la doctrine, cet article ferait obstacle à la protection de l’agencement d’un magasin ou de sa décoration. Cependant, la jurisprudence admet une potentielle protection des agencements des magasins sur ce fondement.
La Cour d’appel de Paris a notamment retenu que la définition de l’article L. 511-1 CPI « inclut dans une acceptation large toute forme apparente possible d’un objet à condition qu’elle soit notamment perceptible, identifiable et identifiée » (CA Paris, 23 mai 2008, n° 06-18.874).
Pour bénéficier de la protection au titre du droit des dessins et modèles, les modèles doivent être nouveaux et disposer d’un caractère propre. De telles conditions étaient respectées dans l’arrêt précité, puisque la Cour a considéré que l’ensemble des éléments de l’agencement intérieur du magasin (vitrine, façade, zone de restauration) était nouveau et présentait un caractère propre (Cour d’Appel de Paris, 23 mai 2008).
- Sur le fondement du droit d’auteur, la nécessité de prouver l’originalité et l’empreinte de la personnalité de l’auteur
Le plus fréquemment, c’est sur le terrain du droit d’auteur que la protection de l’agencement d’un magasin est recherchée. Les plans et œuvres d’architecture bénéficient en effet du statut d’œuvres protégées par le droit d’auteur (L. 112-2 du CPI).
Le concepteur d’un agencement de magasin est donc titulaire de droits d’auteur sur une telle œuvre, dès lors qu’elle présente un caractère d’originalité, et qu’elle exprime la personnalité de son auteur.
La protection des agencements de magasins pourrait être restreinte en application du principe selon lequel les idées ne sont pas protégées, mais seulement la forme originale sous laquelle elles sont exprimées. Cependant, cet obstacle peut être contourné dès lors que les éléments d’agencement sont suffisamment concrets et précis.
Des décisions ont en effet considéré que le merchandising (mise en scène) du magasin, le chemin de circulation de la clientèle, la matérialisation des réserves et le positionnement de la caisse étaient protégés par le droit d’auteur puisque ces éléments étaient concrétisés par des dessins et plans précis. En outre, les choix opérés pour la création de ces éléments portaient l’empreinte de la personnalité de leur auteur (CA Paris, 26 octobre 2005).
Les juges se livrent alors à des analyses très détaillées de l’originalité de l’aménagement de magasins.
A cet égard, la Cour d’appel de Paris a, par exemple, retenu que des salons au sein des magasins Ladurée, portaient l’empreinte de la personnalité de leur auteur et devaient en conséquence bénéficier de la protection par le droit d’auteur, en se fondant sur le choix de l’aménagement comportant un mélange de styles, de couleurs et de décoration (CA Paris, 3 mars 2017, n°16-038.93).
L’originalité d’un agencement de magasin peut également résulter de la combinaison de plusieurs éléments qui seraient indépendamment les uns des autres connus. Si le créateur d’un agencement de magasin prouve que ce dernier est constitué par une combinaison de choix (lumière, organisation du magasin) qui provient d’un parti pris esthétique et d’un effort créatif, il pourra invoquer ses droits d’auteur pour interdire et sanctionner la reproduction ou l’imitation de ses créations (CA Douai, 16 mars 2017, n°15-03.286).
- Le recours à l’action en concurrence déloyale et parasitaire en l’absence de droit privatif
En cas d’absence de droit privatif sur l’agencement d’un magasin, une similitude de la présentation d‘un magasin peut être source de confusion entre deux concurrents et justifier une action en concurrence déloyale. Sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, les concepteurs d’agencement de magasin peuvent prouver que l’imitation des éléments de leur agencement leur cause un préjudice. Encore est-il nécessaire d’attester précisément de l’existence d’investissements particuliers dans le choix du mobilier et de l’élaboration de l’agencement revendiqué (CA Paris, 24 mai 2016, n°15-061.53).
Un arrêt de la Cour d’appel de Paris illustre parfaitement les conditions dans lesquelles une action en concurrence déloyale peut être accueillie par les juges. Dans cette affaire, la reprise d’un aménagement intérieur (meubles, tringles, disposition similaire) a été considérée comme destinée à éveiller dans l’esprit de la clientèle le souvenir du magasin contrefait, par la création d’une même mise en scène de l’espace de vente, de nature à générer un risque de confusion (CA Paris, 16 avril 2010, n°09-004.07).
Bien évidemment, s’il est démontré que l’agencement en question est régulièrement utilisé au sein du secteur concerné, ou encore tout simplement banal, la reprise des éléments par un concurrent n’est pas de nature à créer une confusion et n’est donc pas fautive (CA Caen, 1re ch., sect. civ. et com., 11 juin 2009, n°08/00019 ; CA Paris, pôle 5, ch. 5, 13 novembre 2014, n°13/03253 ; CA Paris, pôle 5, ch. 1, 24 mai 2016, n°15/06153).
La protection par le droit d’auteur et l’action en concurrence déloyale semblent être les recours les plus efficaces pour protéger les agencements de magasins et sanctionner leur reproduction ou imitation.
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