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Pourquoi faut-il veiller à l’e-réputation de sa marque ?

Vanessa Bouchara

Mise à jour le 16 janvier 2021

Pourquoi faut-il veiller à l’e-réputation de sa marque ?

Internet est le royaume de la liberté d’expression. Et comme dans tout bon royaume, il reste un pouvoir en place – en l’occurrence, le législateur – qui veille à ce que la déconsidération des uns n’empiète pas sur la réputation des autres. Tout propos tenu par les internautes ne peut porter atteinte aux droits des tiers. Même lorsque l’acte de dénigrement est généré de manière automatique par un moteur de recherche.

Le principe de fonctionnement de Google, fondé sur la simplicité, la rapidité et la pertinence, a permis à ce moteur de recherche de devenir l’outil du Web le plus utilisé dans le monde, et davantage en France, où il est utilisé par 9 internautes sur 10. Google joue donc un rôle considérable dans la notoriété des marques, que l’information atteinte à travers sa technologie se révèle positive ou négative. L’une de ses fonctionnalités, Google Suggest, qui est apparu en France en 2008, a eu des effets pour le moins dévastateurs pour plusieurs entreprises.

Une liste de 10 suggestions automatiquement générée

Comme son nom l’indique, Google Suggest permet à l’internaute, lorsqu’il introduit un terme dans la barre de recherche, de se voir proposer en temps réel une liste de 10 suggestions de recherches. Cette fonctionnalité, qui a pour but de faire gagner du temps à l’internaute – simplicité et rapidité de Google – est présentée comme un système automatique, les 10 suggestions se reportant aux 10 recherches antérieures les plus fréquentes des internautes par ordre de pertinence.

Cette fonctionnalité a posé des difficultés lorsque des entreprises ont constaté que leurs noms pouvaient être associés, selon les suggestions présentées à l’internaute, à des termes aux connotations négatives tels que « escroquerie » ou encore « arnaque ». Par ce biais, Google Suggest orientait directement les internautes sur des propos tenus sur des forums de discussion.

Une évolution jurisprudentielle mouvementée et la consécration du droit à l’oubli

Malgré l’enjeu important que présentait le contentieux « Google Suggest », la jurisprudence a été particulièrement fluctuante et n’a cessé de passer d’un fondement à l’autre pour justifier ses décisions, pour finalement se stabiliser à partir de 2014.

Google a dans un premier temps été rappelé à l’ordre par les Tribunaux sur le fondement de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 (diffamation ou injure), qui lui ont ordonné de :

  • mentionner sur sa page d’accueil et dans le système de requête un avertissement suffisamment clair et lisible, précisant comment est établie la liste de ses 10 suggestions (voir not. CA Paris, 9 décembre 2009, n° 09/13133) ;
  • supprimer l’association du nom de la société aux termes « escroquerie » ou « arnaque » dans sa fonctionnalité Google Suggest (voir not. TGI Paris, réf., 10 juillet 2009, n° 09/55969 ; TGI Paris, 4 décembre 2009, n° 09/13239 ; TGI Paris, 8 septembre 2010, n° 10/07440).

Par la suite, dans un arrêt en date du 19 juin 2013, la Cour de cassation a mis un frein à l’application de la loi du 29 juillet 1881, en retenant que lorsque « la fonctionnalité aboutissant au rapprochement critiqué est le fruit d’un processus purement automatique dans son fonctionnement et aléatoire dans ses résultats » cela exclut toute volonté d’émettre les propos en cause et donc toute responsabilité (Cass. 1re civ., 19 juin 2013, n°12-17.591).

Par ailleurs, la même année, le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI Paris, 17e ch. Civ., 23 octobre 2013, n° 11/07439) a, sur le fondement de la responsabilité civile (anciens articles 1382 et 1382 c.civ), sanctionné Google pour l’association des termes « secte » ou « escroc » à une personne sur Google Suggest (aujourd’hui consacré aux articles 1240 et 1241 du Code civil), à défaut de pouvoir se fonder sur la loi du 29 juillet 1881 réprimant les délits de presse. Cependant, ce fondement a été fortement critiqué par la doctrine.

Enfin, le Tribunal de commerce de Paris a condamné pour la première fois la société Google à supprimer des suggestions à connotation négatives de sa fonctionnalité Google Suggest sur le fondement de la loi « Informatiques et libertés » du 6 janvier 1978, et plus précisément le droit d’opposition, en considérant que l’association de termes dans les outils “Google Suggest” ou “recherches associées” « constitue un traitement de données personnelles, puisqu’il s’agit d’une “communication par transmission” et d’une “diffusion” de ces données aux sens prévus par la loi » (T. com. Paris, 1re ch., 28 janvier 2014, n° 2013000519).

A son tour, la Cour de Justice de l’Union européenne s’est également prononcée dans un arrêt du 13 mai 2014, où elle a retenu la qualification de responsable de traitement de Google au sens de la directive 95/46/CE relative à la protection des données à caractère personnel, de sorte que ce dernier était tenu de faire droit aux demandes de désindexation (CJUE, 13 mai 2014, Affaire C-131/12).

C’est à la suite de ces décisions que la jurisprudence portant sur le droit d’opposition, ou le droit à l’oubli, sur le fondement de la Loi Informatiques et Libertés et de la directive européenne a commencé à se développer.

Depuis, le droit à l’oubli numérique est un droit établi, officiellement consacré au sein du Règlement Général sur la Protection des Données (Règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données) et par les lois telles que modifiées à la suite de son entrée en vigueur, notamment la Loi Informatiques et Libertés.

Cependant, seules les personnes physiques peuvent bénéficier du droit à l’oubli numérique. Les personnes morales sont exclues (Règlement (UE) 2016/679, considérant 14 : « La protection conférée par le présent règlement devrait s’appliquer aux personnes physiques, indépendamment de leur nationalité ou de leur lieu de résidence, en ce qui concerne le traitement de leurs données à caractère personnel. Le présent règlement ne couvre pas le traitement des données à caractère personnel qui concernent les personnes morales, et en particulier des entreprises dotées de la personnalité juridique, y compris le nom, la forme juridique et les coordonnées de la personne morale. »), de sorte que les entreprises sont toujours cantonnées aux fondements plus généraux pour faire valoir leurs droits, à savoir la responsabilité civile consacrée à l’article 1240 nouveau du Code civil, ce qui n’est pas toujours une évidence.

Un « espace de rencontres entre consommateurs et professionnels »

En matière d’avis

Le site « Les arnaques.com » a également été l’objet de procédures, les entreprises appréciant peu de voir leur nom figurer sur ce forum destiné à révéler les arnaques…

L’association à l’initiative du site LesArnarques.com y animait un forum sur lequel les internautes pouvaient échanger des informations au sujet de leurs expériences respectives rencontrées et des difficultés auxquelles ils ont dû faire face dans le cadre de leur relation commerciale avec tel ou tel professionnel.

Ainsi, de nombreux commentaires figurant sur ce forum pouvaient être perçus comme portant atteinte à la réputation des entreprises ou professionnels visés.

Toutefois, les Tribunaux ont refusé de condamner www.lesarnaques.com du fait de l’association du nom de son site à celui d’une société (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 22 novembre 2012, n°10/17057).

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a considéré que le nom du site est certes provocateur et accrocheur, mais il est attribué à un espace de rencontres entre consommateurs et certains professionnels, qui permet de s’informer et d’échanger. Il a même été considéré que ce site « se situait dans un débat d’intérêt général, et qu’il ne peut donc être prétendu que l’association entre les contributions des internautes même quand elles visent nommément un professionnel et indépendamment de leur contenu, et le nom délibérément provocateur du site constitue en soi un acte de dénigrement au seul prétexte de ce rapprochement entre le nom du site et celui de l’entreprise visée ».

Par ailleurs, le Tribunal a également refusé les demandes formées sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil pour « les propos éventuellement dénigrants tenus par des internautes sur le forum puisque l’association LESARNAQUES.COM n’est tenue que d’une obligation de prompt retrait après notification en raison de sa qualité d’hébergeur. »

Par un arrêt du 28 janvier 2015, la Cour d’appel de Paris confirme que la responsabilité de l’association doit être appréciée en sa qualité de fournisseur d’hébergement, et non d’éditeur, « dès lors que l’objet même du site est de mettre en ligne, sans opérer de tri et donc en restant neutre dans leur stockage, les messages des internautes » (Cour d’appel de Paris, 28 janvier 2015, n° 13/13818).

En matière de notation

L’application mobile de notation Yuka proposée par la société YUCA SAS, qui permet aux consommateurs de scanner des produits pour en connaître leurs caractéristiques, a également fait l’objet d’un litige intenté par des fabricants de charcuterie, la SAS MONT DE LA COSTE.

Au travers d’un algorithme, l’application attribue une note et une appréciation notamment pour les produits alimentaires, en fonction de leur composition.
Dans cette espèce, l’application attirait l’attention des consommateurs sur la teneur en nitrites et en nitrates en leur déconseillant d’acheter des charcuteries comportant des additifs nitrés. Une pétition d’interdiction des nitrites et des nitrates en lien avec les produits de charcuterie sèche fabriqués par la SAS MONT DE LA COSTE était spécifiquement diffusée par l’application YUKA.
Estimant qu’elle nuisait gravement à son activité économique, la société MONT DE LA COSTE a assigné la société YUCA en concurrence déloyale.

Par un jugement du 24 septembre 2021 (TC Brive-la-Gaillarde, 24 septembre 2021, n° 2021F00036), le Tribunal de commerce de Brive-La-Gaillarde fait droit à la demande de la société MONT DE LA COSTE et condamne la société YUCA pour pratique commerciale trompeuse et dénigrement.

Une pratique commerciale est qualifiée de trompeuse lorsqu’elle repose notamment sur des indications fausses ou de nature à induire en erreur le consommateur sur les qualités essentielles du bien ou du service, ou encore lorsqu’elle fournit de manière ambiguë une information substantielle (Articles L121-1 et L121-3 du code de la consommation).

Le Tribunal rejette l’argument du défendeur selon lequel le lien direct avec le professionnel et la vente des produits n’était pas établi en rappelant qu’une telle pratique peut être caractérisée en l’absence de toute relation entre l’auteur de la pratique litigieuse et son destinataire.

Sur le caractère trompeur de la pratique, le tribunal estime que « le débat ne réside pas dans le fait qu’un aliment puisse faire l’objet d’une critique ou d’une appréciation, ni dans le fait que les charcuteries en question soient bien ou mal notées » et considère que la société YUCA est, au nom de la liberté d’expression, en droit de noter des produits conformément au barème de son application.

Cependant, les informations mises à disposition des utilisateurs comme des affirmations, notamment en matière d’impact sur la santé, doivent selon les juges être complètes, fiables et dénuées de toute ambiguïté pour ces derniers, et ce d’autant que l’application YUKA bénéficie d’une notoriété établie.

Or, pour le Tribunal, l’application ne se contente pas d’attribuer une notation et met également en garde le consommateur sur l’existence d’un risque sanitaire de ces produits. En l’espèce, la première page d’accueil de la fiche des produits notés indiquait « Additifs favorisant l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac », laissant croire au consommateur qu’il existait un risque d’exposition à des maladies mortelles.

S’il n’est pas contesté que les additifs incriminés puissent présenter un degré de dangerosité, il n’en demeure pas moins qu’ils sont autorisés, information que l’application omet de mentionner de façon lisible et facilement accessible.
Le Tribunal estime que l’application n’a pas fait preuve de mesure dans ses affirmations de sorte que le consommateur n’avait pas reçu les informations essentielles susceptibles de contredire ou du moins nuancer celles reçues par la SAS YUCA pour se forger sa propre opinion.

Par conséquent, le Tribunal retiendra la qualification de pratiques déloyales trompeuses par action et par omission de la société YUCA envers la SAS MONT DE LA COSTE.

Pour caractériser le dénigrement, le Tribunal rappelle que les raisonnements en matière de pratique commerciale trompeuse lui sont transposables et précise que l’application YUKA ne repose pas sur une base factuelle suffisante lui permettant de s’exprimer avec mesure et qu’  « en sélectionnant ses sources, [YUKA] ne fait pas état d’informations plus rassurantes pour le consommateur, ce qu’elle aurait dû faire pour rééquilibrer la réalité scientifique et éclairer l’utilisateur de façon complète et équilibrée sur les risques encourus par l’absorption d’additifs nitrés ».

Mettre sa marque sous surveillance, une solution ?

Même si les entreprises peuvent trouver des solutions qui leur permettent de ne pas être associées, à tort, à un qualificatif particulièrement déplaisant, il n’en demeure pas moins impératif de mettre sa marque sous surveillance pour être avisé de telles associations dans les meilleurs délais.

Ceci est d’autant plus important au regard du fait que, aujourd’hui, 9 internautes sur 10 utilisent un moteur de recherche comme Google pour s’informer, notamment sur les sociétés ou professionnels avec qui ils souhaitent éventuellement louer ou non des liens commerciaux, choix qui sera inévitablement influencé par ce qu’ils trouvent sur ce moteur de recherche.

S’agissant des habitudes de consommation, face à la tendance forte de consommer plus éthique, les applications mobiles d’aide à l’achat influent directement sur les choix du consommateur et ont une incidence notable sur la réputation d’une marque. D’après l’étude d’impact de la société YUCA réalisée en 2019, 92% des utilisateurs reposent les produits lorsqu’ils sont notés rouges dans l’application. Or, le nombre d’utilisateurs de l’application est de l’ordre de 20 millions d’après le dossier de presse de la société (https://yuka.io/wp-content/uploads/presskit/Yuka-dossier-de-presse.pdf).

Il existe également, depuis quelques années, des entreprises spécialisées dans le nettoyage de l’e-réputation des sociétés, notamment en effaçant des pages ou images sur Google, en mettant en place des surveillances et en créant du contenu positif pour contrebalancer le contenu négatif et le rendre moins visible.

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