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Quelle place pour les marques de boissons alcooliques ?

Vanessa Bouchara

Mise à jour le 16 janvier 2022

Quelle place pour les marques de boissons alcooliques ?

Par un arrêt en date du 20 novembre 2012, la Cour de cassation a confirmé l’hostilité du droit des marques à voir coexister des marques identiques, dès lors que la seconde désigne des boissons alcooliques.

Vers la fin du principe de spécialité au bénéfice des marques désignant les boissons alcooliques ?

Conformément au principe de spécialité, deux marques peuvent coexister dès lors qu’elles ne couvrent pas les mêmes produits ou services.

En conséquence, par principe, une marque désignant des bougies parfumées et des eaux de toilette, telle que DYPTIQUE, ne pourrait empêcher la société de commercialisation de boissons alcooliques HENNESSY de déposer et de faire usage d’une marque identique pour son activité.

Cependant, conformément à une tendance actuelle ces dernières années (ex. : Cass. com., 19 décembre 2006, n° 04-14.420 ; CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 26 octobre 2011, RG n°09/23375 ; CA Paris, ch. 4, Sect. A, 20 septembre 2000, RG n° 1998/14609 ; TGI Valence, 2 novembre 2004, Juris-Data n°2005-26607), la Cour de cassation a réduit à néant ce principe en ce qui concerne les marques désignant les boissons alcooliques en se fondant sur l’article L. 3323-2 du Code de la Santé Publique, lequel interdit notamment les publicités indirectes en faveur d’un produit qui, par l’utilisation d’une marque, rappellent une boisson alcoolique.

La Cour de Cassation considère que le dépôt d’une marque pour des produits visés par l’interdiction publicitaire du Code de la Santé Publique est de nature à paralyser l’usage de la marque antérieure identique par son titulaire, et de le priver de l’exercice de son droit de propriété sur le signe.

En effet, confirmant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 octobre 2011 (Pôle 5 ch. 1, RG n°09/23375), la Cour de Cassation a indiqué que :

« ayant constaté que la société Dyptique avait, depuis le 1er janvier 1990, mis sur le marché sous sa marque « Dyptique » divers produits autres que des boissons alcooliques, et que la société Hennessy faisait usage d’une marque identique pour commercialiser des boissons alcoolique, la cour d’appel […] en a exactement déduit, sans avoir à faire d’autres recherches, que le dépôt de la marque HENNESSY et la commercialisation de produits sous celle-ci créait une entrave à la libre utilisation de cette première. »

En raison de l’interdiction posée par les articles L.3323-2 et L.3323-3 du Code de la santé publique relatif à la publicité indirecte des produits alcoolisés, le titulaire de la marque antérieure ne pourrait plus faire la promotion de ses produits, sans que cela ne constitue une publicité indirecte aux produits alcooliques.

La décision retenue par la Cour de cassation n’est toutefois pas nouvelle.

En effet, la jurisprudence a déjà annulé des marques identiques nouvelles désignant des produits alcoolisés en raison de l’existence d’une marque antérieure identique, comme par exemple la marque « Victoria’s Secret » annulée en raison de la célèbre marque de lingerie (Cass. Com., 20 novembre 2012, n°12-11.753),  la marque « Mont Blanc » annulée en raison de la célèbre marque de crème dessert (CA, Paris 26 octobre 2011 Pôle 5 ch. 1, RG n°09/23375) ou encore la marque « Fragonard » en raison de la célèbre marque de parfums (CA Paris, ch. 4, Sect. A, 20 septembre 2000, RG n° 1998/14609 ).

La Haute Cour avait également déjà affirmé ce principe pour les produits du tabac au regard de l’ancien article L. 3511-4 du Code de la santé publique visant l’interdiction de faire de la publicité pour des produits de tabac (CA Rennes, ch. 3, 6 octobre 2020, n°16/05278).

En l’espèce, la Cour de cassation a annulé la marque « Sobieski » pour désigner des produits du tabac car celle-ci portait atteinte à la marque antérieure du même nom désignant des boissons alcoolisées en privant le titulaire de la marque antérieure de son droit de propriété sur sa marque.

La large portée de l’appréciation de l’entrave représentée par l’interdiction d’effectuer des publicités indirectes en faveur des boissons alcooliques

Selon la Cour de cassation, l’entrave à la libre jouissance de la marque antérieure est créée ipso facto par le dépôt de la marque postérieure.

Elle a balayé d’un revers de manche l’ensemble des moyens soulevés par la société HENNESSY consistant à démontrer l’impossibilité concrète de l’existence d’une entrave réelle à l’usage de la marque DYPTIQUE par la société éponyme au motif que :

  • Les publicités réalisées par la société DYPTIQUE, pour des bougies, ne seraient pas susceptibles de rappeler des boissons alcooliques (en raison de la nature différente des produits, des clientèles distinctes, des réseaux de distributions distincts et de la présentation distincte des signes et des produits) ;

  • Les publicités réalisées par la société DYPTIQUE ne seraient pas susceptibles de tomber sous le sceau de l’interdiction des publicités en faveur du tabac (publicités réalisées dans des magazines de décoration à destination des adultes).

Les juges vont également prendre en compte l’atteinte à l’image de la marque jouissant d’une renommée sur le fondement de l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle.  

Dans la décision de la Cour d’appel de Rennes, la société Mont Blanc avait soutenu que la commercialisation de produits alcoolisés, sous la dénomination « Mont Blanc » par une société tierce, allait nécessairement nuire à l’image de sa marque, dès lors que la marque Mont Blanc, pour désigner des crèmes desserts, s’adresse à un jeune public (CA Rennes, 3ème ch., 6 octobre 2020, n°16/05278).

Dans la décision opposant les sociétés Diptyque et Hennessy, l’atteinte à la renommée de la marque n’a cependant pas été retenue en raison de la connaissance des marques en cause par le public concerné et qu’il s’agissait d’une clientèle de prestige.

Toutefois, les juges ne vont pas systématiquement annuler la marque nouvelle identique qui désignerait des boissons alcoolisées.

Le Tribunal de grande instance (TGI Paris, 3 novembre 2017, n°16/07711) a rappelé qu’il faut prendre en compte notamment les publics visés, les conditions d’exploitation et la notoriété des marques en cause pour caractériser s’il existe un lien dans l’esprit du consommateur entre les deux marques et que de ce fait l’usage de la marque serait susceptible d’être qualifié de publicité indirecte pour des boissons alcooliques.

En l’espèce, dans cette décision, le Tribunal de grande instance n’a pas fait droit à l’action en nullité de la marque « Cache-cache » pour désigner des produits alcoolisés, intentée par la société du même nom, connu pour la commercialisation de vêtements et accessoires pour femme, dès lors que le signe « Cache-cache » est un nom commun usuel et que les deux marques n’étaient pas notoires (TGI Paris, 3 novembre 2017, n°16/07711).

En matière d’appellations protégées, l’INPI a refusé d’annuler une demande de marque complexe contenant l’indication géographique protégée (IGP) LAGUIOLE, déposée pour désigner des boissons alcooliques, au motif que l’atteinte au nom, à l’image ou à la renommée de la commune de Laguiole n’était pas démontrée (INPI, 14 février 2020, 2019-4079). Un des arguments de l’opposante selon lequel elle avait initié des actions et investissements dans le domaine du tourisme œnologique n’a pas été retenu en raison de l’absence d’exploitation du nom LAGUIOLE par la commune pour de tels produits. L’INPI a en effet estimé que « la mention d’une distillerie et d’un caviste sur le site www.aubrac-laguiole.fr, ainsi que de circuits touristiques permettant de découvrir les vins locaux, proposés par des opérateurs privés et non par la commune opposante, ne permettent pas d’en déduire une telle participation ».

L’INPI rappelle donc que pour démontrer l’atteinte à une IGP, encore faut-il apporter des éléments factuels et objectifs de sa renommée et ce pour les produits contestés.

Ainsi, la décision de la Cour de cassation de 2012 (Cass. Com., 20 novembre 2012, n°12-11.753) interdit le dépôt d’une marque préexistante pour des produits visés par l’interdiction des articles L. 3511-4 et L.3323-2 du Code de la Santé Publique, notamment pour des boissons alcooliques.

Au regard des jurisprudences citées, les recherches d’antériorité pour les marques désignant des boissons alcooliques et des produits du tabacs doivent donc être faites avec beaucoup de prudence et englober toutes les marques, indépendamment des classes dans lesquelles elles sont déposées, afin d’éviter tout risque d’annulation de la marque sur le fondement des articles précités du Code de la santé publique.

 

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