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Vanessa Bouchara
Qui peut « voler » l’orange publicitaire d’Andros ?
La publicité représente une valeur économique importante pour les sociétés qu’il est nécessaire de protéger, il en va de même de l’idée publicitaire qui est pourtant bien plus délicate à invoquer dans la cadre d’un contentieux. En effet, par principe, les idées sont de libres parcours, et seules les formes dans lesquelles une idée est exprimée peuvent être protégées.
Cependant, il est en théorie possible pour une société de protéger ses idées publicitaires, notamment au travers une action en concurrence déloyale ou parasitaire, mais cela va dépendre des circonstances spécifiques de l’affaire.
En mars 2012, la société PEPSICO France a commencé à faire la promotion d’un de ses jus de fruits TROPICANA par le biais d’un film publicitaire, largement diffusé, qui s’achève avec un gros plan sur une orange sur laquelle était apposée la marque TROPICANA.
La société ANDROS a alors assigné la société PEPSICO sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire. En effet, la société ANDROS a considéré qu’en reproduisant cette orange à la fin de son spot publicitaire, la société PEPSICO avait commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à son détriment.
La société ANDROS invoquait, pour obtenir gain de cause, l’usage antérieur et ininterrompu depuis presque 25 ans d’un fruit sur lequel était apposée la marque ANDROS pour faire la promotion de ses jus de fruits et de ses desserts fruitiers.
Cepndant, le Tribunal de commerce de Nanterre a, par un jugement rendu le 23 octobre 2012 (T. com. Nanterre, 6e ch., 23 octobre 2012, n°2012F01645), débouté la société ANDROS de ses demandes.
Les juges de première instance ont considéré que l’orange reproduisant la marque ANDROS était une idée publicitaire qui ne pouvait être qualifiée d’originale et personnelle, et n’était donc pas de nature à « conférer à la société ANDROS un « monopole » sur son utilisation, même réduit au seul domaine des jus de fruits frais ».
Le Tribunal a par ailleurs considéré que « par sa banalité, elle ne présente aucun pouvoir distinctif au bénéfice de la société ANDROS et n’est pas attachée à un savoir-faire, à un travail intellectuel ou à des investissements propres à la société ANDROS ».
La société ANDROS a alors interjeté appel de ce jugement. La question qui se posait était donc de savoir si la reprise d’une idée publicitaire pouvait être condamnable au titre de la concurrence déloyale.
Le débat ne portait ainsi pas sur la protection de cette idée publicitaire au titre du droit d’auteur puisqu’il est de jurisprudence constante que « les idées sont de libre parcours ». La question de l’originalité de cette idée publicitaire n’avait pas non plus vocation à être abordée dans cette affaire.
Pour obtenir gain de cause sur le fondement de la concurrence déloyale, il est nécessaire de prouver que l’idée publicitaire est distinctive et arbitraire et, que la reprise de cette idée par un concurrent engendre un risque de confusion.
Une idée publicitaire arbitraire et distinctive
La Cour d’appel a retenu (CA Versailles, 12e ch., 18 février 2014, n°12-07318), à l’inverse du Tribunal de commerce, que l’idée publicitaire consistant dans le fait d’associer un fruit et la marque d’un fabricant du produit fini n’est pas usuelle, la société ayant été la première à la faire et ce depuis 1988, et est alors bien distinctive et arbitraire lorsque cela concerne des jus de fruits.
Aussi, la Cour a également rejeté l’argumentaire de la société PESPICO qui consistait à invoquer la présence fréquente d’une étiquette sur un fruit pour indiquer le nom du fruit ou de son producteur, en soulignant qu’il ne s’agissait pas d’un usage pertinent.
Pour reconnaître un caractère arbitraire et distinctif à cette idée publicitaire, la Cour d’appel a pris en considération la qualité d’industriel du demandeur, ainsi que la nature du produit final qui n’est pas le simple fruit mais bien un produit dérivé de ce fruit à savoir le jus de fruit.
La Cour d’appel a ainsi voulu octroyer à cette idée une protection car il est vrai que l’idée publicitaire constitue une véritable valeur pour une société et qu’en dehors de la concurrence déloyale, elle n’a pas d’autres moyens pour se défendre.
En tout état de cause, si la Cour d’appel a reconnu que cette idée publicitaire était distinctive et arbitraire encore fallait-il que la reprise d’une orange avec une marque soit de nature à engendrer un risque de confusion dans l’esprit du consommateur.
Un comportement fautif par la création d’un risque de confusion
La caractérisation d’un risque de confusion était dans cette affaire délicate. En effet, cette affaire oppose deux acteurs majeurs en France sur le marché des jus de fruits qui ont su se distinguer et créer des identités différentes.
Ainsi, ces deux acteurs n’ont pas les mêmes pratiques de communication publicitaire et les thèmes abordés dans leurs publicités respectives ne sont pas similaires.
La reprise d’une orange dans la publicité pour la marque TROPICANA était d’ailleurs limitée à la fin du spot publicitaire litigieux et ne se retrouvait nullement sur les produits finis.
Enfin et surtout, l’idée publicitaire consiste en la reproduction d’une marque sur un fruit. Or, la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur l’origine des produits.
Tant la marque TROPICANA que la marque ANDROS sont des marques renommées que les consommateurs connaissent et rencontrent quotidiennement.
En dépit de l’ensemble de ces éléments différenciant les deux sociétés, la Cour d’appel est allée dans le sens contraire du Tribunal, en considérant que :
- La société Andros avait pertinemment relevé « qu’il importe peu que l’idée publicitaire ne soit mise en œuvre qu’à la fin du film […] dès lors que cette circonstance ne lui fait nullement perdre son caractère distinctif et qu’au contraire cette idée joue un rôle essentiel de signature et marquera la mémoire du consommateur » ;
- et que « le fait que les marques apposées sur le fruit soient différentes, ANDROS d’une part, TROPICANA d’autre part, ne conjure pas le risque de confusion produit par les ressemblances visuelles, dans l’esprit du consommateur raisonnablement attentif et avisé. »
La fonction essentielle de la marque n’est donc pas, selon la Cour d’appel, suffisante pour écarter un risque de confusion entre deux visuels d’orange portant chacune une marque différente mais bien connue.
La Cour d’appel a donc condamné la société PEPSICO pour avoir diffusé une orange sur laquelle était apposée la marque TROPICANA.
Cette diffusion était, selon la Cour, la reprise d’une idée publicitaire arbitraire et distinctive d’ANDROS qui engendre un risque de confusion dans l’esprit du consommateur raisonnablement attentif et avisé.
A la suite de cette décision, la société PEPSICO a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel, en soutenant que « le seul fait de reprendre une idée publicitaire d’un concurrent sans reprendre la forme sous laquelle elle s’est exprimée ne saurait donc être en lui-même fautif ».
La Cour de cassation a cependant rejeté le pourvoi de la société PEPSICO dans une décision du 24 novembre 2015 (Cass. Com., 24 novembre 2015, n°14-16.806), et dans laquelle elle a confirmé la décision de la Cour d’appel de Versailles, en retenant en effet que « les ressemblances entre les visuels en présence engendrent, dans l’esprit du consommateur raisonnablement attentif et avisé, un risque de confusion, que la différence des marques apposées n’atténue pas. »
En conséquence, une idée publicitaire peut en effet être protégée par la concurrence déloyale, indépendamment du droit d’auteur, dès lors qu’il est démontré, d’une part, que l’idée publicitaire est arbitraire et distinctive et, d’autre part, que l’acte litigieux engendre un risque de confusion.
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